29 juillet 2006

John Barleycorn

John Barleycorn, qu'on peut aussi trouver sous le titre Le Cabaret de la Dernière chance, est un récit de Jack LONDON (1876-1916), son "autobiographie d'alcoolique" en quelque sorte.

John Barleycorn, le locuteur anglo-saxon le connaît bien : c'est la personnification du démon de l'alcool, sorte de Bacchus/Dyonisos. Sauf qu'il n'incarne pas des valeurs d'énergie et de vie, mais plutôt des tendances morbides et auto-destructrices. Littéralement, c'est "Jean grain d'orge", nom évocateur.

Dans un récit très bien mené, Jack London retrace sa propre histoire avec l'alcool, depuis sa première cuite à... 5 ans !, jusqu'en 1912 où il compose cet ouvrage. Bien que divertissant et très prenant, le récit se propose un autre but que lui-même : London entend mettre en garde le lecteur contre un John Barleycorn pernicieux et entêté, capable de reprendre à tout moment la vie de n'importe quel individu entre ses mains, et de l'amener vers les bas-fonds, dans la déchéance la plus bestiale.

Le discours de London se fait aussi politique. Le récit est cyclique : on retrouve le point de départ quelques pages avant la fin. Ce point de départ, ce prétexte à parler du démon de l'alcool dans notre civilisation, c'est un référendum sur le droit de vote des femmes. London, qu'on connaît relativement macho, se met en tête d'expliquer pourquoi le droit de vote des femmes lui semble tout d'un coup nécessaire au salut social. C'est que les hommes, pour les multiples raisons exposées dans le livre, se montreront toujours incapable de renoncer à leur drogue, malgré toutes leurs mauvaises expériences. Alors que les femmes ont toujours visé à la "sauvegarde de l'espèce". L'éradication de l'alcool et la fermeture des lieux où l'on en trouve dépendra donc exclusivement d'elles.

London, plutôt embêté devant le spectacle de sa faiblesse vis-à-vis de la bouteille, et se trouvant moult circonstances atténuantes tout en dramatisant la plupart des épisodes qu'il raconte, fait un voeu pieu devant lequel il ne semble par se tenir engagé. Pour preuve, la situation se retourne une dernière fois sur les deux dernières pages, et le narrateur nous avoue qu'il ne peut se résoudre... qu'à continuer de boire !

De ce fait, prôner la fin de l'alcool pour les générations futures, c'est se montrer un peu réactionnaire, un peu donneur de leçons. Même si l'on considère que ces leçons-là sont justes. C'est dans cette ambiguïté que l'ouvrage prend parfois un peu de lourdeur, et London apparaît comme un auteur de son époque. En contemporain de Jules Verne, dont il ne partage pas tout l'optimisme, il n'hésite pas à remettre son ouvrage cent fois sur le métier... Bref, il y a là au moins 50 pages de trop, mais London continue de se vanter de produire 1000 mots par jour...

C'est pourquoi John Barleycorn, bien que montrant toutes les qualités d'une écriture et d'un propos maîtrisés, n'est pas une oeuvre littéraire de l'ampleur de Martin Eden, avec lequel il partage certains épisodes, ni un témoignage "brut" comme La Route.

Une lecture très stimulante malgré tout.


250 pages, coll. Phébus libretto - 8,99 €
En savoir plus sur Jack London
Quinzaines liées : "On the Road" et West Coast classics

27 juillet 2006

Talkin' 'bout my rezoloucheun

C'est pas un pari stupide, c'est une bête résolution. L'idée est la suivante : je ne m'achète pas un seul bouquin pendant 1 an !

C'est pas que je n'aime pas les bouquins, pour le cas où vous auriez des doutes. En fait, je les aime même un peu trop, matériellement parlant. Ce qui fait qu'ils m'encombrent de plus en plus. Les rayons d'étagères se mutliplient à une vitesse démentielle, et c'est un coup à devoir investir un hangar d'ici quelques années...

Alors voilà : bête résolution. Combien de temps je tiendrai ? Je ne sais pas. Mais avec tous les livres que je possède sans les avoir encore lus, avec tous ceux qu'on trouve dans les bibliothèques ou qu'on peut se faire prêter, avec les économies que ça représente, après tout, l'idée ne me paraît pas si absurde...

Des chiffres ? Soit, des chiffres ! Dans l'année qui vient de s'écouler, j'ai acheté très exactement 119 bouquins que je possède encore (j'en ai acheté d'autres que j'ai revendus ensuite). Je ne compte pas les bouquins offerts, demandés au père Noël et cie... 119 bouquins, ça représente 10,5 % des bouquins que j'ai ici (1136, dont 110 BD). Euh, pour la suite, vous voulez que je vous parle en euros ou en dollars ? Le prix moyen de ces 119 bouquins est de 8,27 €, soit 10,5 $. Cela nous fait un total très exact de 984, 43 €, soit 1 253.37 $... 82 € par mois, sur 1 an... :/

Mais ne vous inquiétez pas pour le Blog à Lire : aucune raison que j'écrive moins de billets si je me tiens à ma résolution. Vous pourrez continuer à être environ 17 visiteurs par jour, voire plus ! :)

Alors vite, vite, avant que je cède à la tentation de mon prochain achat, dites-moi ce que vous inspire ZE résolution : facile ou pas facile ? censée ou incensée ? ... tenable ou intenable ?
=)

Demande à la poussière

Le voilà, le grand roman de John FANTE !!

A force d'insister à creuser le sillon qu'on m'avait indiqué moulte fois, je suis enfin tombé sur un grand roman de John Fante (1909-1983), cet auteur américain d'origine italienne.

Dans Demande à la poussière, on retrouve le double fictionnel de Fante, Arturo Bandini. Toutefois, ce n'est pas le même personnage. Dans La Route de Los Angeles, Arturo vivait avec sa mère et sa soeur à Wilmington, près de L.A. Ici, Arturo vit à L.A. mais sa maison familiale est dans le Colorado, où sa mère a toujours vécu et vit toujours, attendant des nouvelles de lui.

Arturo Bandini se veut écrivain. De fait, il a publié une première nouvelle dans une vague revue mensuelle. Mais Bandini est un intermittent de l'effort. Alors il mange des oranges, et pense au prêt de 50 cents qu'il a accordé par un jour faste à son voisin de pallier, un carnivore obsessionnel.

Le matin où commence l'action, Bandini doit quitter l'hôtel en douce, ou bien trouver un moyen de remettre à plus tard le règlement de sa propre dette, à savoir trois semaines de retard de paiement du loyer. Pour trancher l'affaire, il décide de prendre l'air et de faire de l'exercice. S'ensuit une digression introductive sur les bibliothèques publiques, sortes d'abris incongrus pour mendiants.

Puis il entre au Columbia Buffet, un tripot. Bandini rêve de se faire une Mexicaine, car les rues de L.A. en sont pleines et qu'elles ne coûtent pas si cher. Et justement, la serveuse du Columbia est une Mexicaine. Méprisant, il va aller la chercher. Soumise, elle va réclamer son mépris. Mais la suite n'est jamais simple...

Bandini n'a que vingt ans, et des rêves de gloire littéraire plein la tête. Mais il se dit qu'il a le temps. Huit ans, dix ans. Le temps d'avoir vécu des choses. Pour le moment, il n'a rien vécu. C'est pourquoi il ne peut pas l'écrire, son roman.

En rencontrant Camilla Lopez, Arturo Bandini réalise finalement tous ses rêves : aller au lit avec une Mexicaine, apprendre la vie, et même trouver une muse pour sa grande oeuvre...

Demande à la poussière, c'est un peu comme une répétition de Martin Eden, dans une langue marquée par Céline. De superbes passages de furie loghorréique évoquent aussi le Kerouac de Anges de la désolation ou de Tristessa

Un grand bouquin. Forza Fante !


272 pages, coll. 10/18 - 6,90 €
La Route de Los Angeles
Mon chien Stupide
Aller à la Quinzaine West Coast classics
Aller à la Quinzaine "On the Road"

26 juillet 2006

Qui que quoi où quand ?

Au départ, le polar est lié aux faits divers, ceux qu'on lit tous les jours dans la presse régionale. Certaines histoires nous interpellent pour telle raison. Des auteurs s'en emparent et en font un récit complet, où l'imagination vient combler les lacunes. Ce polar là répond essentiellement aux questions suivantes : "qui a tué qui ? comment ? pourquoi ?"

Vient plus tard le sous-genre du polar "hard boiled". Dashiell Hammett et Raymond Chandler, aux U.S.A., en sont les deux principaux auteurs. Boris Vian en est l'importateur en France : il traduit Chandler, et écrit sous un pseudo, Vernon Sullivan, des polars d'inspiration américaine. Dans cette veine, c'est la personnalité de celui qui mène l'enquête qui est au centre même de l'histoire. Ainsi Chandler crée le mythique Philip Marlowe, incarné virilement à l'écran par Humphrey Bogart. La figure centrale du polar "hard boiled", comme son nom l'indique, est un "dur à cuire". La plupart du temps un détective privé. Sorte de renouvellement des mercenaires du mythique far west. C'est-à-dire des gars en quête d'argent et qui sont prêts à cogner, car ils ont vendu leur âme au diable dans une vie antérieure... On est loin du propret Sherlock Holmes, qui résolvait ses énigmes depuis le bureau de son logement bourgeois.

Aujourd'hui, plusieurs voies pour le polar :
- le polar français me semble suivre plus ou moins la veine "hard boiled", en créant des héros récurrents qui sont des gars (et parfois des filles) implacables. Maigret, Julie Lescaut, même combat. On trouve également des polars "dont vous êtes le héros", c'est-à-dire des récits où l'enquête est menée par un individu lambda, projeté dans la tourmente contre son gré. L'Homme à l'oreille croquée de Jean-Bernard Pouy en est un bon exemple.
- le polar américain se perd pour l'essentiel dans la veine des "thrillers politiques". Il faut à tout prix que le récit tourne autour d'une conspiration. On frôle du coup les clichés qu'on croyait révolus depuis la chute du mur de Berlin... Beaucoup d'auteurs plus originaux existent aux U.S.A., mais je ne crois pas qu'il y ait réellement de tendance collective.
- à travers certaines collections (je pense aux "Grands Détectives" chez 10/18), on a créé de toute pièce un sous-genre du polar : le polar historique. La préoccupation de ces récits est de mettre en scène des héros récurrents, pour des motifs éditoriaux. Les questions qui se posent sont "quand" et "où", et le lecteur est censé s'extasier sur la documentation de l'auteur. Cocaïne et tralala participe à cette vogue.

Enfin, de tout temps et comme dans tous les genres littéraires, une veine ironique accompagne le chemin du polar. Elle a pour vocation d'utiliser les ressorts du genre, tout en détournant certaines valeurs idéalisées. Ainsi les privés deviennent des loosers, des anti-héros très peu recommandables qui se font cogner sévèrement, et ne résolvent leurs enquêtes que par accident. Un privé à Babylone et Pulp sont deux exemples très bien écrits. Les oeuvres d'un Kaminsky appartiennent aussi bien au polar ironique qu'au polar d'époque.


Aller aux Polars

21 juillet 2006

Mon chien Stupide

Henry J. Molise est un écrivain et un looser, un bourgeois aisé qui pointe au chômage, un chef de famille solitaire. Il vit à Santa Monica, sur la côte de Los Angeles, avec sa femme Harriet, sa fille Tina, ses fils Dominic, Denny et Jamie. Il a une passion irraisonnable pour les bull-terriers et pour sa Porsche.

Expliquons un peu mieux. Henry a publié quatre romans, mais vit en fait de scenarii peu glorieux pour la télévision, et plus rarement pour le cinéma. Il a une grande maison en Y qu'il habite depuis 20 ans et dont il a payé toutes les traites. Pour sa Porsche, il lui reste quatre mois à casquer.

Joe Crispi, un producteur véreux, propose du boulot à Henry, mais ce ne sont que des plans foireux. Tous deux sont à leur manière l'incarnation de l'Italien né en Amérique. C'est un peu "tout pour l'esbrouffe, pourvu que je bouffe".

Henry aime se persuader qu'il maîtrise sa vie, mais en fait il se soumet aux desiderata de sa femme Harriet, parce qu'il a déjà dû la récupérer plusieurs fois, et qu'il ne se sent pas le courage d'avoir à le faire une fois de plus.

Harriet tente d'incarner la mère parfaite pour ses quatre enfants, mais elle est en réalité dépassée par la jeunesse de ces années 70 finissantes. Henry est un peu plus à la page : il boit et il fume, il conçoit que son fils aîné couche avec des femmes noires aux jambes longues et au cul rebondi.

Mon chien Stupide est donc principalement l'histoire de Henry et Harriet au moment où leurs quatre enfants vont quitter le foyer familial. Mais cette histoire coïncide avec l'arrivée d'un chien errant dans la maison de Henry. Un chien qui ne pense qu'à tringler tout ce qui bouge. Henry le baptise Stupide. Ce n'est pas un bull-terrier, mais il se reconnaît quand même en lui. Ou plutôt, ce chien le venge des choses de sa vie qu'il a laissé filer. Stupide aime la castagne, il a un caractère de cochon pleinement assumé ; Henry est lâche, et s'il se montre volontiers blessant envers sa progéniture, il finit toujours pas se montrer conciliant vis-à-vis de Harriet.

Henry caresse un rêve : retourner à Rome, dans la mère-patrie. Le bouquin s'intitule d'ailleurs West of Rome en version originale. De la même façon que Brautigan mentionne Babylone dans son bouquin éponyme. La comparaison s'arrête là, et Mon chien stupide se situe plutôt quelque part entre un Bukowski et le philosophique et sentimental Voyage avec Charley de Steinbeck.

Ce n'est pas encore l'excellent John FANTE promis par la rumeur, par la critique ou par Bukowski. On y trouvera pas non plus une vision particulièrement idéalisée de la West Coast... et ça n'est pas une fin tonitruante pour la Quinzaine "West Coast classics", mais Mon chien Stupide est quand même un très bon bouquin, indéniablement.


185 pages, coll. 10/18 - 6,00 €
Découvrez John FANTE et La Route de Los Angeles
Aller à la Quinzaine "West Coast classics"

Beauté du diable

Un billet écrit par Sjokolade

Belle du Seigneur d'Albert COHEN (1895-1981), j’en entends parler dans ma famille-de-filles depuis des lustres. Ma grand-mère, mes tantes, ma mère, mes sœurs, ma belle-sœur : c’est bien simple, elles l’ont toutes lu ! Depuis mes dix ans, on me ressasse : « ah… tu verras, ‘faut absolument que tu lises ce bouquin pour tes vingt ans ». Je n’ai pas vingt ans, mais je me suis lancée. Et vu la taille du pavé, ça nécessite toute une préparation psychologique !

Je dois dire que j’étais pas mal sceptique, au départ. J’avais vraiment peur de tomber sur un « livre de fille », un truc fleur bleu, plein de bons sentiments, style Laura Ingalls début XXème. Mais je m’étais trompée.

Belle du Seigneur, c’est l’histoire d’amour avec un grand A. Ariane, jeune femme de la haute société genevoise protestante est l’épouse d’Adrien d’Aulbe, petit bourgeois qui travaille à la Société des Nations. Il ne songe qu’à sa carrière et est à la botte de ses supérieurs hiérarchiques. Adrien manque cruellement de personnalité et cela se ressent dans sa relation avec sa femme. Ariane s’ennuie mortellement dans sa grande maison, elle feint l’enthousiasme lorsque son mari lui raconte ses déboires dans son petit bureau de la SDN. Sa belle-mère est mesquine, son beau-père totalement insignifiant. Bref, Ariane a tout de la femme blasée… Mais, vous vous en seriez doutés, les choses vont changer. Le tournant s’appelle Solal. Patron d’Adrien, il est follement amoureux de la femme du fonctionnaire. Il s’arrange pour envoyer le « mari gênant » en mission pour trois mois et en profite pour séduire Ariane, qui ne résiste pas bien longtemps. La passion est née. Mais « avec le temps va, tout s’en va ». La passion flamboyante se désagrège peu à peu. Ariane et Solal, à l’image d’un Roméo et d’une Juliette, finissent par incarner deux héros tragiques par excellence.

« C’est terrible, ça finit mal » m’a-t-on répété. Mais non ! C’est beau justement parce que nos deux amants ne ressortent pas tout frais tout roses de leur relation. On n’est pas dans un roman de Barbara Cartland, que diable !

Le style de Cohen relève du génie. On plonge directement dans les pensées des personnages grâce à une écriture épurée, presque sans ponctuation, dans des paragraphes, des chapitres même, où l’auteur s’enflamme. Les pages défilent sans que l’on s’en rende compte. Le roman de plus de mille pages finit par nous paraître trop court ! Quel comble ! Cohen réussit à étouffer notre agacement vis-à-vis des deux héros, Ariane en particulier qui est parfaitement superficielle (elle passe des heures dans son bain à contempler ses orteils), en se focalisant également sur des personnages secondaires, tels que Mangeclous, l’excentrique majordome de Solal ou le grand-père de ce dernier, omnubilé par l’idée de trouver une épouse juive à son petit-fils.

En bref, Belle du Seigneur est un long livre, qui paraît trop court, justement à cause des longueurs de Cohen… Vous suivez ?! Ah, paradoxe, quand tu nous tiens…


Albert COHEN sur Wikipedia
1109 pages, coll. Folio - 9,70 €

20 juillet 2006

La Commedia des ratés

Pelouse Kem' nous présente un polar de Tonino BENACQUISTA

« Elles forment un univers en soi, à l'état brut, dont même le plus fin gourmet ne soupçonne pas toutes les métamorphoses. Un curieux amalgame de neutralité et de sophistication. Toute une géométrie de courbes et de droites, de plein et de vide qui varient à l'infini. C'est le royaume suprême de la forme. C'est de la forme que naîtra le goût. (...) L'arrondi a un goût, le long et le court ont un goût, le lisse et les stries aussi. Il y a forcément quelque chose de passionnel là-dedans. (...)
C'est parce que la vie elle-même est si diverse et si compliquée qu'il y a autant de formes de pâtes. Chacune d'elles renvoie à un concept. Chacune va raconter une histoire. (...)
Regardez comment est fait un plat de lasagnes, vous n'y verrez que la couche apparente, le gratin qu'on veut bien vous montrer. Mais notre individu veut voir les strates inférieures, parce qu'il est sûr qu'on lui cache des choses profondément enfouies. Pour s'apercevoir peut-être qu'il n'y a rien de plus qu'en surface. Mais d'abord il va chercher, se perdre, et traverser un long tunnel obscur sans savoir s'il y a quelque chose au bout. »


Et cette description sociologique vient d’un polar. Car tout dépend de la différence entre les rigatonis et la carbonara, figurez-vous. On se doute bien que c’est le détail à considérer. Et ce n’est pas qu’une question culinaire, vous l’avez compris : il y a mort d’homme. Antonio Polsinelli n’aime pas traîné dans la banlieue des Ritals, il préfère fuir la mascarade des immigrés qui ne sont ni d’ici ni de là-bas. Mais il est attendu par un copain d’enfance, Dario, le Rital de caricature : costume blanc, chaussures bicolores, amoureux de l’argent facile du moment que ça ne demande pas trop de travail. Mais la rue des immigrés italiens est longue. Dario meurt le lendemain de cette étrange rencontre où Antonio a écrit pour lui une lettre. Une balle de neuf millimètres.

Du coup, Antonio hérite à sa grande surprise de ce Dario perdu de vue : un terrain de vignasse, à Sora, en pleine campagne italienne. Du vin que tout le monde considère comme un vinaigre amélioré. Dario, ce fainéant professionnel aurait souhaité se mettre au vert ? Travailler d’arrache-pied une vigne qui n’a jamais rien donné de bon ? Il y a embrouille dans les nouilles...

Et Bianca qui fait la cuisine avec la télé allumée : mettre l’eau à chauffer. A la fin des pubs, elle bout. Y plonger la pasta. Egoutter après la météo. Succulent, non ?

Les leçons sur l’Italie, la langue et la religion de la pasta sont parfois un peu lourdingues : ce défaut de celui qui vient de découvrir une culture et qui veut en livrer tous les traits folkloriques.

En bref, La Commedia des ratés est “une farce bouffonne au goût amer, un drame dont on se retient de rire”, un polar bien écrit et qui fait la part belle à la dérision.


Aller aux Polars
216 pages, coll. Folio policier - 4,60 €

Quinzaine "West Coast classics"

7è Quinzaine du BàL : revisitons quelques auteurs de la côte Ouest des Etats-Unis !

Qu'ils soient classiques ou modernes à nos yeux, l'important est qu'ils aient tenté de faire briller un peu la West Coast aux yeux des amateurs de littérature du monde entier. Tout les oppose-t-il aux auteurs et artistes qui encensent New York, la plus européenne des cités américaines ? Y a-t-il un style West Coast en littérature, comme on prétend qu'il y en a en musique : jazz, rock, rap...

Je vous ai mis un peu de West Coast Jazz en ligne, et nous allons lire ou relire ensemble des auteurs déjà cités ici, ainsi que des nouveaux venus, toujours les bienvenus !

Laissez des commentaires !!
:)


La liste des oeuvres "West Coast", les lieux de l'action :

LAS VEGAS
Bruce BEGOUT, Zeropolis

LOS ANGELES
Charles BUKOWSKI, Pulp
Raymond CHANDLER, Le Grand sommeil
John FANTE, La Route de Los Angeles,
Demande à la poussière et Mon chien Stupide
Stuart KAMINSKY, Moi, j'aime le cinéma

MEXICO
Jack KEROUAC, Tristessa

SAN FRANCISCO, Berkeley & Oakland
Richard BRAUTIGAN, Un privé à Babylone et Retombées de sombrero
Jack LONDON, Histoires des siècles futurs, Le Talon de fer et John Barleycorn
Armistead MAUPIN, Chroniques de San Francisco

OREGON
Richard BRAUTIGAN, Le Monstre des Hawkline

Îles du PACIFIQUE

Jack LONDON, John Barleycorn
Charles WILLIAMS, La Mare aux Diams

15 juillet 2006

(BD) Wimbledon Green

Le dessinateur SETH (né en 1962), alias Gregory Gallant, est d'abord et avant tout un fol amoureux des comics américains. Au point même, peut-être, d'en oublier la BD française, de Hergé à Pratt en passant par Goscinny et Franquin. Le travail de Seth s'inscrit dans la lignée de son cadet Chris Ware, l'auteur génial de ce monument d'esthétisme qu'est son Jimmy Corrigan. Au "smartest kid on earth" de Ware répond ici un certain Wimbledon Green, "the greatest comic book collector in the world". Oeuvre d'auto-dérision, car l'auteur est lui-même collectionneur. Oeuvre poétique, surtout, car il est évident que derrière cette passion se cache une fascination magique pour l'enfance à jamais perdue...

Seth, comme Chris Ware, ne nous raconte pas de façon chronologique l'histoire de son héros ambigu. Ce sont des suites de quelques planches de longueur variable (entre 1 et 15 environ) qui nous amènent à saisir Wimbledon Green sous différents aspects, à travers différents regards : regards de ses coreligionnaires amoureux et collectionneurs de comics. Dans ce cas l'envie et la jalousie ne cèdent pas toujours à l'admiration. Ou bien regards de la rumeur, sans cesse réincarnée. Wimbledon Green, Don Green, H. Arbor Grove... s'agit-il de la même personne ? Et si c'est le cas, est-ce bien lui qui a monté cette monumentale arnaque autour de la revente des malles de Wilbur R. Webb ? Les suppositions les plus folles sont confrontées aux confessions discrètes du principal intéressé.

Dans un style faisant clairement allusion aux traditionnels comics américains, tout en n'étant finalement pas très éloigné du trait d'un Riad Sattouf, Seth nous emporte sur 125 pages dans un véritable "road comic", où tout le monde ne cesse soit de courir après la perle rare, soit de fuir devant l'ennemi. Les références ne sont pas simplement citées, ce qui rendrait le ton puant, mais elles sont expliquées, racontées. On ne sait plus trop, au bout du compte, si elles sont réelles ou inventées pour la cause. Pour un peu, on se croirait chez Jorge Luis Borges, qui aimait lui aussi embrouiller les repères de son lecteur entre la réalité et les fictiones...

Ce "roman graphique", comme son auteur le définit, est un superbe bijou servi dans un joli écrin.


125 pages, éd. du Seuil (hors-collection) - 21 €
Vous pouvez lire quelques pages de l'édition originale Ici, de l'édition française , ou bien simplement faire connaissance avec l'auteur.
Aller aux BD

La Route de Los Angeles

La Route de Los Angeles, roman de John FANTE (1909-1983).

Arturo Bandini est le très fameux double littéraire de John Fante. Dans ce roman, le premier le mettant en scène, on voit notre anti-héros végéter à Wilmington, près de Los Angeles, chez sa mère et sa soeur.

Bon à rien, Arturo ne manque pourtant pas d'estime de soi. Il se dit écrivain, mais en fait il peine à garder son poste à la conserverie de poisson.

Quelques choses qu'on sait de lui : il emprunte à la bibliothèque des livres très intelligents qu'il lit sans comprendre, mais dont il retient de longs passages par coeur pour pouvoir impressionner son monde. La jeune bibliothécaire, Miss Hopkins, lui fait de l'effet.
Avant que son oncle Franck Scarpi lui trouve le boulot à la conserverie, il passait des journées entières dans le placard où se trouvent les robes de sa soeur et de sa mère, à lire Nietzsche et à faire l'amour avec des "femmes-photos" déchirées dans des magazines.
Il déteste sa soeur Mona parce qu'elle est bigote.
Il méprise à peu près tout le monde.
Il est matérialiste, immature et fétichiste.

Le portrait de Shorty Maylor, contre-maître de Bandini à la conserverie, est très beau et subtil. Idem pour ceux d'Eusebio et de Jim, des gars du peuple que côtoie Bandini et avec lesquels il adopte une attitude très aristocratique : Bandini se prend pour un "surhomme" de Nietzsche, et cite Zarathoustra à tour de bras. Le tableau de la société américaine juste après le crach de 1929 est également intéressant, surtout en Californie où les travailleurs mexicains concurrencent les natifs.

Mais malgré cela, le roman de Fante se lit assez difficilement à mon avis. Bandini est un tel looser que son récit à la première personne, gonflé de prétention (pour les besoins de la cause littéraire), nous gave très rapidement. On est quelque part entre Martin Eden de Jack London (que Fante parodie dans le roman qu'écrit Bandini) et La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Le tout en beaucoup moins bien. Les premières scènes du livre, par exemple, s'enchaînent à la façon d'épisodes... je ne me suis pas senti pris par l'histoire : j'ai dû me forcer à continuer...

On lit tellement d'éloges sur l'écriture de John Fante, et sur son héros auto-fictionnel Arturo Bandini, particulièrement l'hommage appuyé de Bukowski, qu'il serait dommage de s'arrêter à ce premier roman, écrit en 1933 mais publié seulement à la mort de l'auteur...


260 pages, coll. 10/18 - 6,90 €
Découvrez John FANTE et Mon chien Stupide
Aller à la Quinzaine "West Coast classics"

11 juillet 2006

(BD) Les Petits ruisseaux

Pascal RABATE est l'auteur d'une série qui a cartonné : Ibicus, BD adaptée d'un roman de Tolstoï. Pas Andréï, Alexis. Un individu célinien perdu dans la tourmente d'une guerre, d'après ce que j'en ai vu...

Ici, il s'agit de tout autre chose. "Sex, drug and rock 'n' roll" nous promet le sous-titre, tout en précisant (à l'encre grisée) « on fera ce qu'on pourra ». En fait, c'est l'histoire d'un vieil homme qui mène une existence réglée comme du papier à musique. Il est veuf, et si sa vie n'est pas folichonne, elle n'est pas tragique non plus.

Deux ou trois événements assez banals vont se succéder dans un ordre et avec une soudaineté assez inattendus. C'est suffisant pour le jeter sur les routes de France, au volant de sa caisse de savon sans permis.

En route, il découvre un camp beatnik (tiens, tiens... ), un hypermarché Leclerc, des cigarettes qui font bien dormir. Et puis il redécouvre les femmes. « Les petits ruisseaux font les grandes rivières ».

Les Petits ruisseaux, c'est l'une des plus belles BD que j'ai jamais lues.


coll. Futuropolis
Aller à la Quinzaine "On the Road"

05 juillet 2006

Novecento : pianiste

Un billet écrit par Pelouse Kem'

Après avoir raconté le périple de la France à la Chine dans Soie, Alessandro BARICCO (né en 1958 à Turin) choisit un cadre nettement plus restreint : toute l'histoire se déroule sur un paquebot, le Virginian. C'est un trompettiste qui raconte l'histoire de ce fameux pianiste, si mystérieux : Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento.

"Danny Boodmann", c'est le nom de l'homme d'équipage qui l'a recueilli quand il l'a retrouvé posé sur le piano du paquebot. "T.D.", c'étaient les deux initiales qui étaient écrites sur le carton qui faisait office de berceau, "Lemon", parce qu'à côté de ces deux lettres était dessiné un citron. Et Novecento ? Novecento, c'est pour la beauté du nom, la grandeur épique qu'il offre, ainsi en a décidé Danny Boodman-père.

Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento est donc né sur ce bateau, et n'en est jamais descendu, on ne sait pas pourquoi. Quand ils jouent pour les rupins ou pour les 2e classes, le chef d'orchestre lui demande de ne jouer "que les notes normales". Quand les musiciens jouent au milieu des troisième classe, il n'y a plus de chef d'orchestre : Novecento joue SA musique, celle qui lui vient de l'Océan, que les autres apparentent au jazz... Novecento, lui, n'en sait rien : il n'a jamais mis les pieds ailleurs que sur le Virginian.

Et un jour, il va essayer de descendre...

Ce récit très court, écrit à l'origine pour un metteur en scène et son acteur, est à l'image de Soie : une belle histoire, racontée sans fioritures, dans une langue simple et drôle, touchante, celle des personnages bien campés et hauts en couleurs. Même après Calvino, et ses tentatives de destruction du roman traditionnel, l'Italie nous offre un vrai écrivain, un excellent raconteur d'histoires.


83 pages, coll. Folio - 3,50 €

04 juillet 2006

Pulp

Dans la catégorie des vieux dégueulasses, Charles BUKOWSKI (1920-1994), alias Buck, est sans doute le plus doué et le plus touchant.

Ses bouquins sont le plus souvent largement autobiographiques. Et c'est bien pour ça qu'ils nous donnent quelques frissons, nous dégoûtent, nous font marrer jusqu'au lendemain... J'avais déjà lu Women, sorte d'hommage aux femmes en général, à la façon Bukowski. Parmi les autres titres que vous connaissez peut-être : Souvenirs d'un pas grand-chose, Journal d'un vieux dégueulasse, Le Ragoût du septuagénaire, et les Contes de la folie ordinaire.

Bukowski dédie son dernier roman, Pulp, "à la littérature de gare". Le héros du bouquin est en effet un privé, Nick Belane, qui tient beaucoup plus du privé à Babylone de Brautigan que du Philip Marlowe de Chandler. Autrement dit, c'est un looser, pas un dur à cuire. Certes il n'a pas le défaut de s'absenter pour Babylone à longueur de temps, mais c'est un alcoolique bien imbibé, et la porte de son bureau ne ferme pas à clef.

Donc, ce ne sont pas moins de 4 enquêtes qui tombent sur les bras chétifs de Belane. L'action se déroule en 1993 à L. A.

La première enquête lui est confiée par une grande bonne femme qui ressemble à une pute créole. Elle se fait appeler la Grande Faucheuse et recherche un certain Céline. Un type français qui aurait fait croire à sa mort en 1961 : « Lui et Hemingway sont morts à un jour d'intervalle. Il y a trente-deux ans de ça. » Hemingway est bel et bien mort, mais pour l'autre... on a aperçu à L. A. une silhouette qui pourrait bien être la sienne...

Ensuite, il y a cette enquête de moeurs : Jack Bass, un boursicoteur, soupçonne sa jeune et jolie femme Cindy de fricoter avec un Jules. Pour un peu, il soupçonnerait même les extra-terrestres...

Tiens, justement ! La troisième enquête de Belane, ça consiste à aider Grovers, croque-mort sinistre, à se débarasser des visites inopportunes de Jeannie Nitro, une alien qui s'amuse à passer à travers les plafonds et à incarner les frais cadavres.

Or il y a au moins un lien entre ces trois premières enquêtes : c'est John Barton. Un type qui a une confiance absolue en Belane, et qui a conseillé à la Grande Faucheuse, à Bass et à Grovers de faire appel à ses services. Pour 6 dollars de l'heure... Barton lui-même confie à Belane sa quatrième mission : retrouver la trace du Moineau Ecarlate. Rien que ça !

Bukowski prend plaisir, on le voit, à mêler le fantastique et le polar pour rendre hommage, à sa façon, au roman de gare. Mais Pulp est avant tout un bouquin signé Buck, qui sent la bière, l'animal et le vieux pet. Toutes les figures féminines ici présentes transpirent évidemment de sexualité, et Belane bien malgré lui ne peut se vouer qu'à son boulot, et aux courses de chevaux (ça me rappelle Fantasia chez les ploucs de Charles Williams).

Le narrateur - Belane, qui dit "je" et parle au passé - ne cesse de faire des allers et retours entre l'intrigue policière et une sorte de philosophie de comptoir : « Nous sommes vraiment des êtres répugnants, programmés pour nous épuiser, notre vie durant, à accomplir de sordides petites tâches. Se remplir le ventre et lâcher des pets, nous gratter l'échine et nous souhaiter de joyeuses fêtes avec le sourire de circonstance. (...) Réfléchissez au nombre de fois où vous avez changé de slip dans votre vie, et tirez-en la conclusion qui s'impose. Consternant, dégoûtant, stupide, non ? »

Bukowski, le gars qui a élevé le pipi, le caca, le zizi et tout le reste au rang de chose littéraire. Non, sans blague.


184 pages, coll. Livre de Poche - 4,00 €
Lire les premières pages en V.O.
Découvrez Charles Bukowski
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03 juillet 2006

L'Etrange contrée

Né en 1899 dans l'Illinois, Ernest HEMINGWAY, prix Pulitzer en 1953 puis prix Nobel de Littérature en 1954, s'est construit lui-même son stairway vers le paradis des écrivains, en se suicidant en 1961, rongé par l'alcool et la fuite de l'inspiration.

La collection "Folio 2€" publie la plupart du temps des titres isolés issus de recueils de nouvelles des grands auteurs du catalogue Gallimard. L'Etrange contrée, avec ses 110 pages, hésite entre la nouvelle longue et le roman court. Le texte est issu du recueil Le Chaud et le froid.

Un écrivain de 37 ans, ressemblant sans doute en tous points à l'auteur, prend la fuite en compagnie d'une jeune femme de 22 ans. L'action démarre in medias res à Miami, en Floride, où Roger vide son compte en banque et achète une vieille Buick pour 3500 $. L'important, dit-il à Helena, c'est de rouler en décapotable et d'avoir de bons pneus. Car ils vont tracer la route sur les highways en direction de l'Ouest.

De motels en échoppes sur le bord de la route, le dialogue se noue et se dénoue entre les deux fuyards. Ils deviennent amants. Le petit personnel parfois les suspecte... mais ils repartent toujours trop tôt pour qu'il arrive quoi que ce soit. Des scènes d'intimité sont livrées très simplement. On est très proche de la narration interne, car au fil des pages, Roger ressemble de plus en plus à Ernest. D'abord, par son côté baroudeur, par les expériences douloureuses qu'il a vécues, les êtres proches perdus... Ensuite, parce que Roger, en cette année 1936, achète tous les jours plusieurs journaux, pour se tenir informé des événements en Espagne, où la situation dégénère au fur et à mesure que Roger, fuyant vers l'Ouest, s'éloigne du brasier.

Et c'est bien de ça qu'il s'agit en somme : de l'hésitation d'un homme entre l'idée de retourner dans le feu de l'action, et celle de continuer à vivre dans la fuite, en voulant croire malgré toutes les circonstances adverses à un nouvel amour possible, à une oeuvre littéraire en gestation.

Roger parle peu, fais des phrases courtes, parle à l'impératif, efficace. Helena pose autant de questions qu'une gamine de 5 ans, s'inquiète, se fait répéter les phrases. Pas toutes, mais certaines...

Il n'y a pas, comme le signale la 4è de couverture, d'« inexorable fatalité » en marche ici. Mais simplement une souffrance inextinguible, accompagnée d'un espoir qui ne veut jamais tenir compte des leçons du passé. Roger et Helena s'enregistrent à chaque fois sous un nom différent dans les hôtels des bords de route, et (se) racontent chaque jour leur histoire d'une nouvelle manière. Helena, elle, n'a pas d'histoire avant Roger ; juste une longue attente. L'histoire de Roger, la vraie, va le rattraper dans un bar de la Nouvelle-Orléans, situé dans le french quarter, après quelques gorgées d'absynthe...

In its own sweet way, ce texte sobre mais efficace comme un classique du polar américain m'a littéralement captivé - voire capturé - pendant les dernières 24 heures. A la découverte d'étranges contrées, Hemingway prend le way of life américain à contresens, tentant de résoudre sa petite équation intime, plutôt que de s'occuper du devenir d'une collectivité. C'est en cela que L'Etrange contrée ne peut pas paraître daté.


110 pages, coll. Folio - 2 €
Pour en savoir plus, c'est par WIKI, ou par
Aller à la Quinzaine "On the Road"

02 juillet 2006

Vercoquin et le plancton

Premier roman de Boris VIAN (1920-1959), Vercoquin et le plancton se propose de dépeindre dans un style totalement zazou l'atmosphère des surprise-parties de l'époque. Celles-ci sont bien-sûr le fait de la jeunesse - zazous z'et zazoutes - et sont hantées par les angoisses de l'occupation, du manque, de la mort. Mais cette angoisse s'exprime sous forme d'hystérie à vivre le moment présent, à profiter du pick-up ou de l'orchestre de Claude Abadie, à siffler toutes sortes de boissons, à baiser jusqu'à épuisement des possibilités combinatoires...

Seulement voilà, deux problèmes à la lecture :
1°) C'est le premier roman d'un grand écrivain. Il a les mêmes défauts que Murphy de Samuel Becket, publié en 1938 : il est trop intelligent. Ou plutôt, il est obnubilé par l'envie de paraître intelligent, et ne garde rien sous le pied. Malgré une langue vraiment maîtrisée, ce qui est déjà épatant à 25 ans, l'écriture est globalement pénible à lire, car ampoulée, remplie d'effets, de private jokes...
2°) Vercoquin et le plancton ne parle pas QUE des surprise-parties, mais fait aussi et surtout le portrait de l'administration à la française. Et c'est long, très long... Comme s'il y avait confusion entre le sujet et la manière dont il est traité. Le Major, personnage central de cette histoire, devient à 21 ans le pourfendeur de la bêtise du système. Cela fera penser à La Conjuration des imbéciles avant l'heure, mais en moins bon.

Pour conclure, Vercoquin et le plancton est hilarant dans les 50 premières pages, sans aucun doute. Il possède même des qualités certaines en tant que document ethnologique sur l'après-guerre à Paris. Mais après cette phase de découverte, la multiplication inépuisable des effets d'écriture finit par lasser. Dommage.


189 pages, aujourd'hui publié dans la coll. L'Imaginaire Gallimard - 7,00 €
Pour aller plus loin : http://www.borisvian.fr
Aller à la Quinzaine « J'suis snob »