30 juillet 2008

Un soir au club

On trouve de tout en ce bas monde littéraire, ma pauv' dame. Même des ex-accros du piano qui hantent les club de jazz de province à la recherche d'un frisson perdu. Simon Nardis est de ceux-là : ex-pianiste de talent, ex-artiste débauché, ex-consommateur effréné de liqueurs nocturnes. D'actuel, il n'a que sa sage femme, Suzanne.

Simon Nardis est en déplacement professionnel. Il s'y connaît en systèmes de climatisation. Il répond à l'appel d'un technicien affolé et lui sauve la mise. Et en contrepartie le technicien le retient ; lui paie des coups ; l'emmène au club de jazz tenu par Debbie, la belle Américaine.

Alors Simon loupe un train, puis deux. A la pause entre deux sets, Simon va tâter les touches du piano sur la scène. Retrouve ses marques. Improvise quelques variations sur des thèmes connus. Les connaisseurs le reconnaissent. A son son. Debbie le drague ; c'est là qu'il comprend à quel point il touchait le fond, avant de passer ce soir au club.

Le lendemain, Simon continue de louper des trains. Suzanne prend la voiture pour le rejoindre. Debbie lui sort le grand jeu dans les petites criques isolées. Simon loupe son coup, Suzanne loupe un virage, Suzanne se tue, Debbie se tait, Simon ne dit plus grand chose. Sauf, bien plus tard, toute cette histoire à un ami : le narrateur.

Christian GAILLY ne montre pas ici un talent formi formidable. A part l'incipit, on a déjà lu vingt fois cette histoire, entendu cinquante fois cette rengaine. La Peau douce de Truffaut est dans la même veine mais fonctionne tellement mieux. L'écriture semble simple, les références jazzistiques sont consensuelles, les chapitres sont courts et de longueur égale. Un roman en charentaises, idéal pour vous assoupir. A la recherche d'un frisson perdu Simon Nardis ne s'extrait pas de sa vie médiocre ; à la recherche d'un ton qui lui serait propre Christian Gailly s'englue dans la moyenne molle du roman français.

Prix Livre Inter 2002
174 pages, coll. Minuit "double" - 5,30 €

09 juillet 2008

Quinzaine de la photo

Ça faisait longtemps, hein ? Eh oui, je sais bien, ça vous a manqué. Mais vous avez remarqué : depuis quelques temps je me passionne à nouveau pour la photo. J'ai même ouvert un énième blog, encore plus abscons que tous les précédents. Ça s'appelle "L'Amour télémétrique", carrément ! Et si vous vous demandez qu'est-ce que c'est qu'un télémétrique, eh bien allez-y voir, et toc !

Alors allons-y : la Quinzaine de la photo est lancée sur le Blog à Lire ! Du 9 au 23 juillet 2008 inclus, je vais référencer ici plusieurs lectures liées à la photo. Il s'agira exclusivement de photo argentique et vous comprendrez rapidement pourquoi. Je vous proposerai aussi quelques photos, au gré de mes errances dans les rues, sous le soleil... et dans mon disque dur qui s'en est gavé depuis quelques mois !



Vous êtes affamés de clichés ? Victime d'une photophagite aiguë en noir et blanc ? Vous cherchez des révélations en format carré ? Vous voulez exploiter toute la gamme des gris, et sniffer des produits rigolos qui font tourner la tête ? Le mystère de la chambre noire et de l'ampoule rouge vous intrigue ? Bref en gros vous voulez faire le point sur tout ça, quoi ?!

Alors comme d'habitude suivez le viseur... et surtout déclenchez sans complexe une rafale de commentaires !!
:)

Si vous aimez les mots et les images, vous avez peut-être, comme MAGDA, le Bic dans l'œil... Votre humeur est au reportage ? Raymond DEPARDON vous présente son année 1968. Envie de vous promener sous l'œil d'un photographe ? Robert DOISNEAU est le parigot qu'il vous faut. Vous aimez les magazines féminins, les belles mises en pages, les modèles habillés selon les dernières tendances ? Peter KNAPP vous ouvre les coulisses de "Elle". Pour vous photo rime avec expo. ? Si vous passez à Paris, ne manquez pas celle de Richard AVEDON. Votre belle-mère vous demande de lui tirer le portrait en Kodak Ektachrome ou au Polaroïd près du Club Mickey de la grande plage à Beig Meil (sous la pluie) ? Puisez toute votre inspiration dans le Manuel de la photo ratée...

Au fait, que pensez-vous de ma cathédrale photographique ? C'est-y pas digne de notre cher Marcel, ça (en toute modestie, hein) ?

07 juillet 2008

Jeune fille


Jusqu'ici je n'avais jamais lu d'ouvrages signés Anne WIAZEMSKY, et pourtant plusieurs fois sa prose apparemment simple, le ton intime des quelques pages feuilletées ici et là m'avaient attiré.


L'auteur, je l'ignorais, est la petite fille d'un certain François Mauriac, patriarche des Lettres françaises dans leur héritage fin-dix-neuvièmiste. Le jeune Mauriac était un fervent admirateur de Barrès, le vieux Mauriac butta contre la modernité de Sartre. On peut donc résumer en disant que François Mauriac a incarné la perpétuation d'une certaine tradition littéraire nationale, cultivée mais bien pensante, authentique mais imbibée de religion, inventive mais bornée.


Je n'évoque pas ici la généalogie de l'auteure pour le plaisir, ni pour l'ornement, mais parce que le respectable grand-père a quelque chose à voir avec ce dont il s'agit ici. Anne Wiazemsky a 17 ans ; une amie la présente à Robert Bresson ; il la trouve à son goût et la débauche tout un été pour tourner Au hasard Balthazar.


Le récit est au passé. Les souvenirs tissent un fil narratif chronologique, sans remous ni révélation. Les événements ne sont pas tournés en événementiel, les sentiments de la jeune héroïne ne sont pas particulièrement exacerbés (ceux de Bresson le sont parfois). Bref ça pourrait être très plat tout ça.


Et pourtant il y a vraiment quelque chose dans le ton, dans l'écriture de Wiazemsky qui parvient à nous intéresser à ses souvenirs sans nostalgie, à ses amours sans affect, à tout ce qu'elle découvre enfin sur le cœur humain, sans tomber dans la sentence. Dans le regard d'une lycéenne, les décisions des adultes apparaissent parfois désordonnées, souvent injustes. Mais eux ne changeront pas : c'est elle qui va grandir cet été là. Non pas devenir une femme, comme elle le croit après avoir pour la première fois fait l'amour avec un homme, mais devenir écrivaine (d'abord en tenant un journal quotidien).


C'est le récit des quelques semaines pendant lesquelles Anne Wiazemsky s'est ouverte à sa propre sensibilité. J'aimerais beaucoup lire un autre livre de cette auteure pour retrouver ce ton juste et délicat avec lequel elle se livre au lecteur. Alors Canines ? Des filles bien élevées ? Un autre ? Si vous avez des conseils à me donner, je suis preneur.


209 pages, coll. Folio - 5,80 €

06 juillet 2008

Robert Doisneau

Robert Doisneau (1912-1994), c'était le stakhanoviste des quartiers populaires de Paris, l'Everest de la photo de rue. Ce fut aussi l'intime des Prévert et Queneau, des Giacometti et Picasso, de Mademoiselle Anita et de ma chère Simone... sans parler des autres intellos du Café des Deux Magots. Poil au dos.

Jean-Claude GAUTRAND signe cette édition de photos de Doisneau dans la très belle et très abordable collection "Icons" chez Taschen. Le texte présenté en Allemand, en Anglais et en Français est très bien fait : savant mais abrégé, il ne cherche pas à expliquer l'œuvre, ni à la rendre évidente. Pas plus qu'il ne s'attarde à faire l'hagiographie de Saint-Robert, patron de la photographie moderne.

Les photos de Doisneau dans les rues de Paris sont bien loin d'être datées. Même sous l'occupation, même sur les barricades des résistants du Quartier Latin, Doisneau ne photographie pas seulement une époque : il photographie le fait d'être humain. Très peu de photos de Doisneau peuvent sembler froides ou distantes : la plupart font apparaître très sensiblement le regard que Doisneau portait sur les gens, sur les endroits, sur les objets. Et très souvent les personnes le regardent aussi, très intensément, à travers l'objectif.

« L'existence n'est certes pas gaie, mais il nous reste l'humour, cette espèce de cachette où l'on jugule l'émotion ressentie. (...) L'humour c'est une forme de pudeur, une façon de ne pas déranger les choses, de les aborder avec délicatesse, en donnant un clin d'œil. L'humour est à la fois masque et discrétion, un abri où l'on se cache. Suggérer d'un touche légère ou badine, sans avoir l'air d'y toucher, mais on l'a dit quand même... »

Pour ce "reporter à titre privé", comme il se désignait lui-même, il n'est pas question de produire les images objectives d'une réalité sociale, culturelle ou politique. Il ne s'agit pas non plus d'apporter un simple témoignage du temps perdu, mais d'aller vers l'autre avec toute la générosité qu'on pourrait attendre en retour.

Être Doisneau, ça ne devait pas être aussi simple tous les jours. Pourtant on dirait qu'il n'y a pas moins compliqué, qu'il suffit de sortir et d'aller vers les passants, de cueillir la photo et de dire merci. Hmmm... (gros soupir)...


190 pages, éd. Taschen - 6,99 €

05 juillet 2008

Peter Knapp

Peter KNAPP est photographe, graphiste. C'est une figure importante lorsqu'on étudie la place du graphisme dans la presse du XXè s. Eduqué aux principes du Bauhaus, cette école du dépouillement et des lignes pures, Peter Knapp entre au service des époux Lazareff dans les années 60.

Très jeune, Peter Knapp se voit bientôt confier le renouvellement de la charte graphique du magazine "Elle". C'est l'époque où la mode observe elle aussi de grands changements. Le prêt à porter débarque, les jupes dévoilent les genoux, les femmes sont photographiées "en mouvement".

Knapp est un inventeur et un industriel. Avant l'arrivée des appareils photos motorisés, qui lui permettront de phographier "en rafale", il a l'idée de filmer ses mises en scène en format 16mm, puis de piocher sur la pellicule telle et telle image qu'il présente comme des photos. D'où une impression de mouvement accentuée dans chaque image.

Mais Knapp travaille aussi et surtout en studio. Il expérimente différents effets d'optique, il exploite de façon systématique le dynamisme des diagonales, il intervient sans vergogne sur ce qu'il photographie pour que l'image soit plus belle. Il déclare d'ailleurs "Je ne prends pas des photos, je fais des images."

Peter Knapp n'est donc pas un témoin, à la manière d'un reporter de presse comme Raymond Depardon. C'est avant tout un plasticien et un graphiste, cherchant toujours l'image la plus percutante. Son inventivité en matière de mise en page montre quelle conscience il a de la manière dont la lectrice parcourt son magazine. Son travail sur les caractères de police est précis comme celui d'un moine préparant des enluminures pour orner un parchemin.

Ce volume m'a été envoyé dans le cadre de l'opération "Masse critique" organisée par Babelio. C'est un bonheur de recevoir un beau livre en cadeau. D'autant que celui-ci recèle de belles photos et des reproductions des magazines d'époque. Un vrai voyage dans la société des années 60, ses libérations et ses carcans. Un plaisir quasi constant pour les yeux. Malheureusement, il y a le texte. Navrant, peu inspiré, complaisant. N'y faites pas attention, et régalez-vous des plus belles pages jamais parues dans "Elle".


Gabriel BAURET, éd. du Chêne - 45 €
Une biographie résumée de Peter Knapp : ici
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