15 septembre 2007

Le Colonel Chabert

Si l’on se fie à la quatrième de couverture, on peut penser que Le Colonel Chabert est un récit qui se joue des frontières : il raconte l’histoire d’un revenant, d’un homme laissé pour mort, enterré dans une fosse commune, et qui en est sorti…

« A qui ai-je l’honneur ? – Chabert. - Lequel ? – Celui qui est mort à Eylau. (…) – Monsieur, dit le défunt, »…

Mais les descriptions minutieuses de l’étude notariale ou de la ferme misérable où vit Chabert sont là pour ancrer le récit dans un univers très réaliste, d’autant que les références à l’Histoire sont nombreuses. D’ailleurs, l’admiration du colonel pour Napoléon est quasiment d’ordre mystique.

Balzac semble ici regretter l’Empire : époque de grandeur, de gloire, et de conquêtes victorieuses. Tandis que la Restauration, symbolisée par la comtesse Ferraud, semble très mesquine : parvenus comploteurs qui ne servent que leurs propres intérêts, et incapable d’éprouver un sentiment sincère et spontané ; tout est calcul et égoïsme.

Au-delà d’un point de vue sur la société de son temps, Balzac pose aussi des questions plus profondes : comment vivre, comment être, quand on n’a plus d’identité ? quand, lorsque que l’on dit son nom, vos interlocuteurs vous rient au nez en vous traitant de fou ?

Un récit court (70 pages) qui pourrait se résumer en une courbe : celle de l’espérance qui renaît là où il n’y avait plus que résignation et désespoir, et puis qui retombe, brutalement, emportant dans sa chute l’âme humaine qu’elle avait un peu illuminée. Cette espérance est pourtant très humble : c’est l’espoir tout à fait légitime qu’entretient le colonel Chabert — « Celui qui est mort à Eylau ? – Lui même. » —, héros des guerres napoléoniennes, de reconquérir sa femme, sa fortune, et surtout, son identité de vivant.


70 pages env., coll. Livre de Poche - 2,75 €

13 septembre 2007

Rendez-vous romain...

Si vous êtes à Rome aujourd'hui, ne manquez pas le rendez-vous littéraire de la réconciliation israëlo-palestinienne !

Il est minuit, Charlie Chaplin

Un billet posté par une lectrice qui a du temps libre...

Charlie Chaplin a été dérangé en pleine nuit par un individu aux cheveux trempés, qui l’a sommé d’abandonner son film en cours (le futur Monsieur Verdoux) et de ne pas s’approcher de Fiona Sullivan. Doué d’un flegme tout britannique, Chaplin n’a pas peur, ne connaît aucune Fiona Sullivan, mais n’a pas – vraiment pas – besoin de défrayer la chronique américaine qui ne le porte déjà pas dans son cœur, après ses divorces retentissants et ses prises de positions sur le front russe qui le font passer pour un rouge. Et puis, surtout, il n’aime pas être dérangé.

Enfin, Toby Peters et sa clique d’amis tout droit sortis d’un cirque (un ancien boxeur poète, un nain mélomane, un dentiste dont la plaque indique « DHC, Sp.ID », ce qui signifie Dentiste Hors du Commun, spécialiste en innovations dentaires… Masochistes, voilà un dentiste fait pour vous !) découvrent que le suspect a peut-être déjà tué cinq femmes…

Toby Peters, que l’auteur de ce blog adooore, vaincra-t-il son mal de dos chronique ? Parviendra-t-il à faire bon usage de .38 sans se tirer une balle dans le pied ? Charlie Chaplin cédera-t-il au chantage ? Les soupapes de la Crosley tiendront-elles jusqu’à la fin ?

Agaçante au début, l'écriture de Stuart KAMINSKY devient très vite comique par la multitude des détails qui ancrent l’histoire dans le quotidien d’un détective privé miteux qui aime remarquer les choses insignifiantes qui l’entourent, même quand il est dans une situation très très embarrassante.

« J’étais adossé à la pierre tombale d’un certain Samuel Sidney Talevest. La nuit était tombée et dans le froid, quelque part, un homme me cherchait avec sa torche électrique, mon arme au poing.
Son plan était simple : me tuer et prendre ce que j’avais dans la poche. Le mien l’était aussi : rester en vie. Il y aurait forcément un malheureux dans l’histoire. »


Tout le roman est ensuite un retour en arrière de quatre jours, jusqu’à ce que l’on retrouve à nouveau Toby Peters, la cheville foulée, caché derrière la tombe de Samuel Sidney Talevest... « La situation ne pouvait guère empirer. C’est alors qu’il se mit à pleuvoir. »... quelques pages avant le dénouement.


255 pages, coll. Rivages Noir - 9 €

10 septembre 2007

Lectures à venir...

Qu'est-ce qu'un blog littéraire en septembre sans une petite sélection de romans de la rentrée littéraire ?

Pas grand chose, uh ?

Ainsi je mijote dans des transes exquises en lisant Amélie Nothomb et un roman délectable publié aux Allusifs. Et je vous prépare de nouveaux petits billets de circonstance...

02 septembre 2007

Gasp

Paraît que j'écris un "blog à suivre" dans la saison 2...

Eh oui : Litteratura.net vient de publier une présentation très élogieuse du BàL, assortie d'une interview (wow, quelle classe !). Merci à Brigitte B. pour tout ça !

01 septembre 2007

"Le Kabbaliste d'East Broadway"

Je continue de lire les nouvelles du recueil La Couronne de plumes, signées Isaac Bashevis SINGER (1904-1991). Comme je vous l'ai dit dans mon précédent billet, "Le Fils qui venait d'Amérique" est très emblématique de ce recueil, car il réunit la Pologne des jeunes années de l'auteur, et l'Amérique où il s'est exilé en 1935.

Je vais tenter de résumer l'intrigue de quatre nouvelles en quelques lignes...

"Le Fils qui venait d'Amérique" : le narrateur pose l'ambiance d'une petite maison modeste de la campagne polonaise, où vivent deux petits vieux, Berl et Berlsha. Un inconnu arrive qui tape à leur porte. Grande silhouette, l'air riche. C'est Samuel, le fils exilé en Amérique, qui prend sa petite mère dans ses bras opulents :

« Mère, vous n'avez donc pas reçu mon câble ?
— Quoi ? Puisque j'ai assez vécu pour voir ce jour, il me sera égal de mourir », dit Berlsha, étonnée de ses propres paroles.
Berl aussi était étonné. C'était précisément la phrase qu'il aurait voulu dire s'il s'en était souvenu un instant plus tôt. Au bout d'un moment, il se reprit et dit :
« Pescha, il faudra faire un double dessert du shabbat en plus du ragoût. »
Cela faisait des années que Berl n'avait pas appelé Berlsha par son prénom. Quand il voulait lui dire quelque chose, il se contentait de « écoute », ou « dis donc ». C'était bon pour les jeunes ou ceux des villes d'appeler leur femme par son nom.


Samuel est boulanger en Amérique ; il envoie de l'argent à ses parents depuis plusieurs années. Ceux-ci n'ont rien dépensé : il n'y a rien à dépenser. « Il était venu avec des plans grandioses. Il avait une valise remplie de présents pour ses parents, pour tout le village. Il les avait achetés avec son propre argent et aussi avec les fonds de l'Association Lentshin de New York qui avait organisé un bal au profit du village. Mais ce village perdu n'avait besoin de rien. »


"La Serviette" est une histoire très auto-dérisoire dont le narrateur-anti-héros m'a fortement rappelé le Montano d'Enrique Vala-Matas. Khon est un écrivain quinquagénaire très demandé pour des conférences ; il est toujours à courir après le temps :

« On dit que courir sans arrêt est une maladie typiquement américaine. Eh bien ! moi qui suis né à l'étranger, j'en suis atteint. »

Intelligent et raisonnable, Khon est désespérément maladroit dans ses amours.

Un jour il se souvient au dernier moment qu'il doit assurer une conférence à M..., dans le Middle West. Il prend le train en toute hâte. Il égare sa serviette. Il débarque à M... sans argent et, confondant le nom de l'hôtel qu'on lui a réservé, se retrouve le soir même à dormir sur un matelas moisi, à compter les sous qui lui restent pour appeler à l'aide.

Cette nouvelle de 48 pages est l'une des plus longues du recueil, et Singer prend le temps de développer son portrait autofictif. D'autres portraits ne sont pas moins savoureux :

« Leah Hinda souffrait d'hypertension et d'une bonne demi-douzaine d'autres maladies, pourtant elle arrivait à se maintenir en vie. Elle prenait chaque jour d'innombrables comprimés et suivait un régime draconien, le plus strict que j'aie jamais vu. Ayant survécu au ghetto et aux camps de concentration, elle était décidée coûte que coûte à vivre jusqu'à quatre-vingt-dix ans. »


"Le Kabbaliste d'East Broadway" raconte la vie ennuyeuse et fascinante, passionnée et vide de sens de Joel Yabloner, kabbaliste de son état, amoureux à l'occasion.


"Une citation de Klopstock" commence par ces mots pleins de promesses narratives :

« Ceux qui courent les femmes ne peuvent s'empêcher de s'en vanter. Dans les milieux littéraires de Varsovie, Max Persky était connu comme un séducteur notoire. Ses admirateurs prétendaient que s'il n'avait pas consacré une si grande partie de son temps aux femmes, il aurait pu devenir un second Sholem Aleichem ou un Maupassant yiddish. »

Tout se corse lorsque Max Persky, par défi, séduit Theresa Stein, une universitaire que toute la ville respecte, et qui jouit d'une réputation irréprochable ; intellectuelle et (jusque là) vieille fille, Theresa meurt dans le lit d'un Dom Juan...


"Le Fils qui venait d'Amérique", 16 pages
"La Serviette", 48 pages
"Le Kabbaliste d'East Broadway", 16 pages
"Une citation de Klopstock", 24 pages
in La Couronne de plumes, 452 pages, coll. La Cosmopolite Stock - 11 €