30 septembre 2008

Le Livre des Rabinovitch

Ah la la. La rentrée, tout ça. Pas facile de terminer un roman, même un bon roman.

Le Livre des Rabinovitch de Philippe BLASBAND a été publié au Castor Astral en 1998, il y a dix ans déjà. Il n'est donc pas question d'actualité littéraire, ni d'un de ces éditeurs qui font chaque année le hold-up sur les prix de l'automne.

Ce roman est en fait un recueil de portraits. Portraits de soi et portraits croisés à l'intérieur d'une même famille : celle des Rabinovitch. L'auteur nous donne l'arbre généalogique à la première page, et nous prévient : ce livre a été trouvé, « C'est un grand livre, recouvert d'une jaquette en cuir (...) Les photographies qui précèdent chaque texte ont été reproduites correctement, mais sans luxe » Celui qui a composé ce livre, c'est Ernest, frère de Max, cousin d'Ali, fils de Nathan, petit-fils d'Elie, descendant de Zalman et Léa. Les portraits sont tous à la première personne, mais c'est Ernest qui les écrit. Parce qu'il va mourir et qu'il veut sauvegarder la mémoire de sa famille.

Ernest fait dire à son père Nathan, dans le portrait qui lui est consacré : « Les Rabinovitch ne cessent de ressasser leur légende familiale. A mon adolescence, petit à petit, me fut transmise la structure de cette histoire mythique : mon grand-père qui devient fou, se bat contre les Polonais et déclenche un pogrom ; tante Rifka, communiste, morte d'épuisement à Auschwitz ; tante Sarah, trop belle pour plaire aux hommes ; oncle Arié, héros sans peur ni reproche ; sa fille Martine, schizophrène ; Yossi, l'enfant du kibboutz - très perturbé ! le ménager ! - toute une geste, toute une chronique absurde et parcellaire. Les trous sont remplis par des mensonges. Les mensonges concurrencent la vérité. Les versions s'opposent et fusionnent. »

Philippe Blasband accomplit ici avec brio une série de volte-faces stylistiques, passant d'un portrait de patriarche mourant à un portrait de jeune femme rebelle, d'un jeune homme tourmenté à une "mère juive". L'identité juive, il en est bien sûr question ici. Les identités juives. Le tabou de la shoah, mêlé aux instincts protectionnistes qui en découlent à l'intérieur même de la famille. Le regard du groupe social, totalement étranger à cet album de famille.

La structure du roman est originale, mais à mon avis pas très limpide. Philippe Blasband garde pour l'avant-dernier portrait une information qui aurait facilité la compréhension de l'ensemble, à savoir que c'est Ernest qui écrit tout du long, empruntant les voix de sa famille. L'écriture en elle-même est talentueuse et variée. Le rapport à l'histoire à travers cette généalogie familiale m'a rappelé la lecture du Tambour de Günter Grass, ce qui n'est pas rien. Ce roman restera donc un bon souvenir de lecture, quoiqu'un peu austère. Je regrette de ne pas l'avoir lu assez vite car j'ai eu le temps de me lasser. Il manque peut-être un vrai fil conducteur, que la simple succession ne remplace pas.


205 pages, coll. "Escales du Nord" (éd. Le Castor Astral) - 14,25 €
Merci aux éditions du Castor Astral de m'avoir envoyé ce livre gracieusement.

19 septembre 2008

(BD) Zazie dans le métro

L'adaptation, c'est un grand jeu littéraire et ça ne date pas d'hier. Ces dernières années, de grands monuments littéraires du XXè siècle ont été abordés par les auteurs de BD : A la recherche du temps perdu, les Contes du Chat perché, Zazie dans le métro en font partie. Joan Sfar sort également ces jours-ci son Petit Prince ; il avait déjà adapté Candide de Voltaire dans sa "Petite bibliothèque philosophique" chez Bréal, une collection qui a fermé boutique depuis. Le XVIIè siècle n'est d'ailleurs pas oublié dans ce mouvement de reconquête du patrimoine, avec la publication du Tartuffe de Molière.

Clément OUBRERIE propose donc ici sa vision du plus fameux roman de Raymond Queneau. On connaît l'histoire : Zazie débarque à Paris par le train en gare Saint-Lazare. Elle y retrouve son tonton Gabriel, qui doit la garder tout le week-end, le temps que sa mère s'amuse un peu de son côté avec son nouveau Jules. Zazie, elle, n'a qu'une idée : elle veut monter dans le métro.
« Tonton, on prend le métro ?
— Non.
— Comment ça, non ?
— Ben oui : non. Aujourd'hui y a pas moyen, y a grève. Le métro s'est endormi sous terre car les employés aux pinces perforantes ont cessé tout travail.
— Ah les salauds ! Me faire ça à moi !
— Y a pas qu'à toi qu'ils font ça.
— Moi qui étais si contente et si heureuse et tout de m'en aller voiturer dans le métro.
— Faut se grouiller, Charles attend.
— Oh, celle-là, je la connais.
— Mais non, Charles c'est un pote et il a un tac. Je nous l'ai réservé à cause de la grève, précisément.
— Il est rien moche, son bahut.
— Monte et sois pas snob.
Snob mon cul. »


Voyez le genre ?

Alors Clément Oubrerie montre ici deux grandes qualités, selon moi : d'abord, il conserve des tartines entières du texte quenaldien (queneaudien ? queneausien ?), en particulier les dialogues. Et comme Zazie est une véritable démonstration de virtuosité linguistique, le « plaisir du texte » cher à Roland Barthes est conservé du roman à la BD. Ensuite, le dessin "à la Sfar" mettra probablement tout le monde d'accord. Ce style permet à la fois la caricature et la nuance, le côté "croquis" et la palette de couleurs. Les personnages ne sont pas un simple copier/coller des acteurs du film de Louis Malle, et ça c'est bien joué ; y compris Marceline, la femme alibi de tonton Gabriel. Oubrerie la dessine sous les traits d'une belle femme noire, lectrice fière et discrète, à l'allure aussi noble que son personnage éponyme Aya de Yopougon (le quatrième tome va paraître dans la collection "Bayou", chez Gallimard, sous la direction de Joan Sfar).

Bref, j'ai retrouvé en lisant cette BD presque tout le plaisir que j'avais eu à découvrir le roman de Queneau, puis le film de Louis Malle. C'est une adaptation très fidèle, réalisée avec du style. Ça n'est pas aussi délirant que le film, pas aussi jubilatoire que le roman et c'est même peut-être un peu trop sage, pas assez méchant. Mais puisque Gallimard publie le roman dans la collection Folio Junior, cette BD confirme la lecture légèrement édulcorée que fait l'éditeur de ce roman autrefois sulfureux.

J'imagine Zazie plus proche du tendancieux Journal de Sally Mara que des innocents Exercices de style, mais bon. Il appartient à chaque auteur, à chaque éditeur de s'arranger avec son patrimoine, et puis c'est aux lecteurs de se faire une opinion.


72 pages, coll. Fétiche (Gallimard) - 15 €
Le blog de l'auteur : la marge brute

14 septembre 2008

(BD) Monkey and the Living Dead

Les traductions françaises de Julie DOUCET ne sont pas très faciles à trouver sur les rayonnages des librairies ; en voici une, éditée par L'Association : Monkey and the living dead.

C'est l'une des histoires commencées par Julie dans son fanzine « Dirty Plotte ». L'histoire d'une chatte portée sur la chose à la recherche de la chose portée par un chat. J. minou ch. gros matou pour travaux de robinetterie.

L'HISTOIRE. La chatte, c'est Monkey, qui vous dit « Bonjour les amis » sur la couverture. Une bien belle plante assurément. Derrière elle vous apercevez Julie Doucet, le double de l'auteur, présent dans la plupart de ses histoires. Julie vient rendre visite à Charlotte, la mère de Monkey.
Charlotte est sur le point de mettre au monde une ribambelle de petits félins, rejetons du gros matou pervers et baveux connu sous le sobriquet de Living Dead, traduisez mort vivant. Monkey, apercevant LV qui traîne dans les parages, est très attirée par son... robinet. Sur ce Charlotte est délivrée de sa marmaille toute fraîche, qui se précipite vers le géniteur en criant « Papa ! » Le 'ros Minet au robinet, dépourvu hélas de la fibre paternelle (mais pas de sa fibre virile, si vous me suivez), prend la fuite sans conter fleurette ni cueillir ses marmots. Et Monkey lui emboîte le pas.
Ses errances mènent la candide érotomane au guichet d'une officine de robinetterie, dont le gérant gâteux ne peut satisfaire la cliente. Mais il l'envoie trouver ce qu'elle cherche dans une boîte de strip non loin de là. Monkey, cherchant maladroitement à percer les mystères de sa propre libido, est embauchée pour un numéro de strip entre filles. Se prenant les pieds dans le tapis, elle atterrit à genoux aux pieds du prox.. euh, du programmateur de cette honorable entreprise de spectacle déshabillant. Plutôt que de lui tourner le dos, le monsieur ouvre généreusement sa braguette, car il n'est pas du genre à célébrer la messe en latin. Par le plus grand des hasards, Monkey finit par trouver Living Dead dépensant son sou à boire tout son saoûl pour se mettre raide mort. Mais il se raidit encore un peu plus devant le corps offert de Monkey, et lui rend hommage... à sa façon.
En guise d'épilogue, l'auteur élimine son personnage éponyme dans un vulgaire accident de circulation.


Ce volume doit être l'un des premiers essais de Julie Doucet dans l'entreprise fictionnelle. Dessinée en plusieurs épisodes entre 1990 et 1993, puis publiée en 1994, la BD n'est traduite qu'en 1999 en France. Julie Doucet s'est surtout fait un nom grâce à son New York Diary, mais cette BD vaut elle aussi le détour. Le dessin y est très talentueux, les personnages et les ambiances sont posés de façon assez affirmée. Esthétiquement, Julie Doucet compose les pages en noir et blanc : classique (cases) mais pas sobre. Le débordement de détails et le traitement très cru du thème sexuel imposent un style parfaitement reconnaissable.
Ni Joe Matt ni Robert Crumb, Julie Doucet est avant tout une auteure, une artiste, une femme qui décortique le désir féminin et montre ici la bestialité qu'il contient. Le désir féminin est moins caricatural que celui des hommes, toujours prompts à assouvir leur envie sans délai ni conséquence. Son désir sexuel, mêlé de naïveté, renvoie l'héroïne de cette histoire vers celles qui sont exploitées pour leur corps. Monkey est entourée de sa mère (et poursuit son amant) et de ses "collègues" : elle est condamnée à devenir maman ou putain.

Pour en revenir à des considérations plus basiques, j'aime le dessin, j'apprécie la franchise très crue avec laquelle le thème sexuel s'affirme ici. Et surtout, surtout, je veux continuer à lire les BD de Julie Doucet pour découvrir ce qu'elle compte faire de son double imaginaire. J'espère que ça vous tente aussi ?


32 pages, coll. Mimolette - 6 €

10 septembre 2008

Dirty Plotte #1

« Dirty Plotte » : c'est le titre fleuri du fanzine BD de Julie DOUCET. Qui en guise d'edito nous explique dès la page 2 ce que signifie le mot "plotte" à Québec. Je vais laisser les linguistes, périlleux traducteurs et autres québécois téméraires traduire dans les commentaires. Hum.

Julie Doucet compose elle aussi des histoires courtes (dessinées) autour de son personnage autobiographique. Dans ses aventures quotidiennes, elle ne se met pas plus en valeur que ne le fait Joe Matt. Son trait est moins net, plus tordu que celui de Joe Matt. Toutes les cases sont très fournies, chargées. Trop pour certains lecteurs. Une page de Julie Doucet est toujours un joyeux bordel.

Dans ces histoires, il est beaucoup question de sexe : simple libido ou attirance bestiale pour le sexe de l'autre. L'acte sexuel y est représenté directement, sans détour, de façon assez crue et souvent plutôt violente : sexe monnayé, contraint, subi. Aucun apitoiement pourtant : Julie Doucet traite son thème principal à la manière d'un compte rendu. La chronologie n'est pas tourneboulée, même lorsque l'aventure se déroule dans un délire ou dans un rêve. Le style de l'ensemble n'est pas encore très arrêté et la publication sous forme de fanzine prend peut-être ici tout son sens, puisque le lecteur y trouve un travail en cours, pas une œuvre aboutie découpée en épisodes.

Remarque amusante : le fanzine de Joe Matt s'intitulait « Peep Show », celui de Julie Doucet fait une incursion dans le milieu des clubs de strip tease. Mais le strip est aussi une forme de BD, courte et quotidienne. Du coup faire un strip, publier un fanzine, c'est un peu comme se mettre à poil.


« Dirty Plotte » #1 : Welcome
28 pages, éd. D+Q (1990) - $ 2.50
Julie Doucet sur Wikipedia et http://www.juliedoucet.net/
Voyez aussi cette très bonne page : http://www.bdquebec/juliedoucet

Peep Show #1

Ça alors ! Joe MATT vient tout juste de fêter son anniversaire et on ne vous en a rien dit ? Pourtant vous ne pourrez pas dire... je vous avais prévenu par ici que son "myspace" était par . Ça y est, ça vous revient ? Joe Matt, dessinateur, auteur américain de talent, 45 ans, roi de la masturbation !

45 ans, eh oui.

Toute blague à part, j'aime beaucoup ce que fait Joe Matt. Pas particulièrement dans le domaine sexuel, mais plutôt dans celui de la BD. D'abord parce que c'est un beau noir et blanc, ensuite parce que chaque case est vraiment travaillée, chaque page vraiment réfléchie sur le plan du rythme et de la mise en scène visuelle. Ensuite parce que Joe Matt maîtrise toute la gamme des expressions nécessaires à faire une bonne satyre, et qu'il ne se prive pas de placer son personnage autobiographique en position défavorable, voire carrément humiliante. Enfin, j'aime ce que fait Joe Matt parce qu'il dit sans hypocrisie ni faux semblant comment fonctionne un type normal en temps normal.

Je viens de relire en VO le premier volume du fanzine « Peep Show » édité par Drawn & Quarterly. Comme on pourrait s'y attendre, la VO est encore plus savoureuse que la traduction, et c'est dû au fait que les dialogues sont écrits dans une langue très "parlée", débordante d'interjections intraduisibles, d'abréviations et de jurons.

Je persiste et signe : Joe Matt produit une BD savoureuse. For mature readers only, comme dit le canard.


« Peep Show » #1 : Greetings from Ipanema !
25 pages, éd. D+Q (février 1992) - $ 2.95
Joe Matt sur Wikipedia et chez D+Q

07 septembre 2008

What's up ?

Je vais bientôt vous causer de D+Q, aka Drawn & Quarterly, et en particulier de deux ou trois fanzines BD publiés par cette maison d'édition pas commune.

Parmi les auteurs que je (re)découvre avec bonheur actuellement : Joe Matt, Julie Doucet et Seth. Trois urban people, trois styles très affirmés et très différents l'un de l'autre.

Il faudra ensuite que je vous parle du New York Diary de Julie Doucet et de la page d'accueil très "hmmm", "haaaan", "ooohh" de son site web.

Et puis enfin, mais ça n'a plus rien à voir avec le titre de ce billet, je rendrai un vibrant hommage à tous ces éditeurs un peu foufous qui envoient des specimens dans ma boîte aux lettres, comme ça, juste pour le plaisir.

Très bonne rentrée littéraire à vous tous, mes lecteurs chéris !
:)