23 mai 2009

Seul dans le noir

Je viens tout juste de finir la lecture du dernier roman de Paul AUSTER paru en français : Seul dans le noir. Un aller/retour en voiture, quatre heures de route et hop ! Avalé.

Avalé bien vite, pas dévoré non plus. L'histoire principale est celle d'August, 72 ans, écrivain sans ambition et sans gloire. Il a recueilli chez lui chez lui sa fille Miriam, 47 ans et sa petite-fille Katya, 23 ans. Tous trois sont des blessés de la vie, mais ce monde étrange continue de tourner.

August, c'est lui qui est seul dans le noir. Pendant que Miriam et Katya dorment à l'étage, lui reste assis avec sa jambe en vrac, il a pour compagne l'obscurité du dedans, ses hantises, son désir aussi que Katya se sorte du pétrin. Il se prend pour Dieu et doit savoir que l'un des deux fut sauvé, probablement.

Les premières lignes et les premières pages sont écrites dans un style très épuré. Le texte avec sa ponctuation est mélodique, presque incantatoire. J'avais entendu Paul Auster faire la lecture de ces premières pages à la radio et je dois avouer que cela m'avait hypnotisé. J'avais filé aussitôt acheté le bouquin.

Cette tension stylistique va de pair avec la construction rigoureuse de l'action principale, celle qui nous raconte l'histoire d'August, de Miriam et de Katya. De Sonia, de Titus, de Virginia Blaine pourquoi pas... mais la tension se relâche, trop vite à mon goût, et nous voilà entraînés dans un monde parallèle où les Etats-Unis d'Amérique se livrent une guerre civile. Un monde qui n'existe que parce que Giordano Bruno a déclaré qu'il pouvait exister. Un monde qui n'existe que dans la tête d'August Brill.

Chaque personnage est attachant, y compris les personnages inventés par August Brill : Brick, Flora, et la fameuse Virginia Blaine. Et puis Paul Auster en fait de belles personnes, avec tous leurs défauts et leurs blessures et leurs espoirs déçus. De fait, Paul Auster mêle ici tous les ingrédients qu'on aime retrouver dans ses romans : la confrontation des générations, l'idée d'un homme qui arrivant à la fin de sa vie dresse une sorte de bilan, l'expérience du deuil raconté avec une sorte de bienveillance au regard de la vie, l'idée que la réalité est illusion, ou bien qu'il y a plusieurs réalités coexistant ensemble, et que certaines personnes ont l'étrange pouvoir de glisser de l'une à l'autre. Et puis Brick est magicien, le petit nom d'August est Augie... on se sent en terrain connu, même quand on n'a pas tout lu de l'auteur.

Il n'empêche : voilà Paul Auster obnubilé par le 11 septembre 2001 et la guerre en Irak, par les prises d'otages et les décapitations retransmises sur Internet... Je ne suis pas sûr que ces sujets soient ceux qu'il maîtrise le mieux et, s'ils peuvent donner lieu à une œuvre littéraire, je suis à peu près sûr qu'il ne faut pas se contenter d'adopter à leur égard le simple point de vue du spectateur, ni susciter du même coup la compassion du lecteur pour les victimes. Si Paul Auster se rendait à Bagdad ou à Kaboul pour renverser le point de vue et nous raconter avec le même talent de romancier la vie de trois générations irakiennes ou afghanes bouleversées par les exactions de l'armée américaine, cela m'intéresserait beaucoup. Pour le moment, il garde les deux pieds sur le sol américain et sa critique de l'administration Bush reste convenue et superficielle. Je connais assez peu Paul Auster et son œuvre, mais j'ai l'impression qu'il se sent obligé de témoigner de ces conflits de civilisation, et pour ma part je trouve dommage qu'il ne veuille pas rester à l'échelle individuelle, où il excelle.


182 pages, éd. Actes Sud - 19,50 €

10 mai 2009

La Colline des Anges

Raymond DEPARDON et Jean-Claude GUILLEBAUD sont de vieux amis, qui ont quitté le Vietnam ensemble en 1972. Guillebaud manie le texte, Depardon l'image. 20 ans plus tard, en 1992, aucun magazine ne les a invités à y retourner. C'est pourtant ce qu'ils ont fait.

Pour l'amateur du beau texte et des belles images, La Colline des Anges ressemble au livre parfait : Guillebaud use d'une langue riche pour poser des ambiances, transcrire des bruits et des parfums, faire resurgir des souvenirs. Aussi le texte ne se résume-t-il ni à un Je me souviens, ni à une réécriture d'A la recherche du temps perdu : il témoigne d'une expérience présente avant tout. L'image comme le texte appartient à ce que l'on pourrait appeler du "reportage humaniste", à ceci près qu'il ne s'agit pas simplement d'objectiver le Vietnam, mais de s'objectiver ayant vécu au Vietnam, revenant au Vietnam, constatant que d'anciens G.I. y reviennent aussi pour reprendre leurs vieilles habitudes de nababs, observant que les vietnamiennes sont toujours prises pour des prostituées congénitales, les vietnamiens pour des gagne-petit du commerce.

La découverte d'Hanoi, ancien berceau du Communisme vietnamien, est un choc pour Guillebaud, Depardon et leur interprète férue de culture occidentale. C'est la ville où tout le Vietnam arrive à son paroxysme : les rues sont pleines, animées, les gamins jouent et chahutent, les jeunes femmes sont belles et circulent à vélo, les maisons se refont une beauté, les passants sourient, sont chaleureux, accueillants. Le texte de Guillebaud, meilleur dans la critique que dans l'éloge, le dit moins bien que les photos de Depardon : Hanoi en 1992, c'est le Vietnam en devenir. La ville qui a su rester Vietnamienne sans occulter pour autant l'avancement du reste du monde et de ses valeurs. Un compromis, équilibre difficile après seulement 20 ans.

Ce tome contient probablement les plus belles photos de Depardon que j'aie jamais vues. Et pourtant je commence à connaître mon sujet...


271 pages, coll. Points - 9 €