14 août 2006

Le Talon de fer

Non, je n'ai pas encore disparu de la circulation et non, je n'ai pas renoncé à la lecture, même après mon intenable résolution... J'étais simplement absorbé dans la lecture du Talon de fer, un roman d'uchronie politique de Jack LONDON (1876-1916).

Ecrit en 1908, ce volume de 316 pages se lit en effet assez difficilement. Transmis à Leon Trotski par la fille de l'auteur après la mort de celui-ci, Le Talon de fer reçut dudit Trotski tous les éloges possibles. Il faut dire qu'on était alors en 1937, et que l'Histoire, coincée entre le Front Populaire, la Guerre d'Espagne et la montée fulgurante du nazisme, donnait raison à la fiction.

De quoi s'agit-il ? Du destin d'un homme d'exception, le héraut de la Révolution. Vous ne le connaissez pas : il s'appelle Ernest Everhard, et c'est un peu Ernest "Che" Guevara avant l'heure. Son parcours, sa personnalité et ses hauts-faits nous sont racontés par Avis Everhard, la jeune bourgeoise oligarque qui deviendra sa femme en cours de route, après une conversion aux thèses marxistes due à son grand amoureux.

Pour les besoins de la cause, London prend du recul. Un recul phénoménal, en fait, puisque nous sommes censés lire le manuscrit perdu par Avis Everhard aux alentours de 1938, et retrouvé par des chercheurs vers 2350. Pourquoi cet artifice ? Pour donner raison à la Révolution que prône Ernest Everhard dans ce qui serait - si la fiction disait vrai - les dernières années obscures de la race humaine avant l'avènement du règne lumineux du Communisme. Eh oui, London verse volontiers dans la didactique, et c'est un "socialiste par en bas"...

L'intention est probablement excellente, et l'on s'attache sans problème à la petite vie de la narratrice, au bouleversement intellectuel et sentimental qu'elle subit en rencontrant son futur mari. On prend plaisir à lire les premiers débats contradictoires entre Ernest le révolutionnaire et les clubs d'oligarques qui l'invitent à discuter, pensant juste se divertir, ou se faire peur sans être menacés. Mais Ernest entend, lui, être une menace bien réelle pour l'oligarchie. Et Avis, la narratrice, nous le dépeint en véritable Christ. Beau paradoxe !

London semble se lasser avant nous de l'histoire de ces deux individus, et s'échappe vers l'histoire de l'Homme en général, alignant les faits historiques censés se produire entre 1912 et 1938. Des notes abondantes, en bas de page, font partie intégrante de l'oeuvre : ce sont elles qui justifient et expliquent depuis l'an 2350 les détails laissés de côté par la narratrice du XXè s. Autrement dit, plus on avance dans la lecture, et plus les destins individuels s'estompent au profit d'une vision générale du destin de l'Humanité... C'est écrasant, ça enlève tout relief, toute humanité, justement. Et puis c'est vraiment très vite ennuyeux.

C'est peut-être bien cela, la pensée communiste : penser tellement fort au lointain bien collectif, qu'on en perd complètement de vue la vie concrète et immédiate de tout un chacun. Quand Ernest Everhard reproche aux patrons capitalistes de ne pas être socialement vertueux, on pense à aujourd'hui, bien-sûr, mais la naïveté de ce reproche fait sourire.

En nous parlant un peu mieux de ses deux héros, de leur vie ensemble et de leurs simples opinions, London aurait pu écrire ici une oeuvre plus essentielle et plus durable. Au lieu de quoi, ses deux références absolues dans le récit sont Dieu et le Communisme, deux illusions dont le XXè siècle, je l'espère, a eu raison.


316 pages, coll. Phébus libretto - 9,90 €
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3 commentaires:

Anonyme a dit…

Fichtre ! Je suis un peu soufflé par cette critique. Continue de nous chroniquer du London, j'adore !

Anonyme a dit…

Ah bon, tu trouves ?

ELIES a dit…

Ce roman de London, qui cherchait à diffuser les idées de Marx au-delà du cercle des sympathisants politiques, est un texte de propagande mis dans une forme attrayante et didactique. Il est donc vain de reprocher à London d'avoir privilégié l'exposé des thèses idéologiques au détriment de la trame romanesque. Néanmoins, le livre n'est pas ennuyeux : les personnages, même s'ils sont un peu "archétypaux", ne sont pas caricaturaux et l'histoire progresse par rebondissements, qui culminent avec l'écrasement de la révolte du peuple de l'abîme à Chicago. Quant aux idées, elles sont certes dépassées mais n'étaient pas erronées à l'époque : l'alliance du capitalisme et du fascisme est bien décrite ! En outre, elles démontrent bien l'apreté de la lutte idéologique au début du XXème siècle.