Tristessa
Tristessa est le titre d'une nouvelle longue de Jack KEROUAC.
Apparemment écrit à partir de la même expérience, de la même tranche de vie que pour Les Souterrains, ce récit se déroule dans un Mexico décadent. Les commerces interlopes aux vitrines remplies de Christs s'alignent dans la rue centrale de villes décevantes, où errent des putes et des toxicos.
Jack Duluoz, le double fictif de Kerouac, partage le toit de trois paumés mexicains : Cruz, El Indio et Tristessa. Il est fasciné par cette dernière, et il en tombe amoureux. Tristessa est une de ces prostituées bigotes dont le Mexique semble regorger. Elle est jeune, et fine et sensuelle. L'esprit de Jack est déjà incommensurablement vieux.
Alors, Tristessa c'est l'histoire d'une occasion manquée de laisser naître un amour réciproque au milieu de la boue. Vaine tentative de sublimation, à laquelle l'écriture fait écho. Lorsque Jack part du Mexique, puis revient un an plus tard, la Tristessa qu'il a connue n'existe plus : elle a été ravagée par la drogue. Jack assiste, impuissant et coupable, à sa déchéance.
Tristessa s'appelait dans la vie réelle Esperanza... Kerouac, dans une furieuse démonstration de la "prose spontanée" dont il est l'inventeur, lui adresse un hommage post-mortem charnel et désenchanté.
« La nuit d'avant, j'ai lutté avec elle paisiblement, dans la pluie et dans le noir, nous étions assis dans un bar ouvert la nuit, on mangeait du pain et de la soupe, on buvait du punch Delaware, et j'en suis reparti avec la vision de Tristessa dans mon lit, dans mes bras, ma belle Indienne, mon Aztèque, avec ses joues d'amoureuse si étranges, ses paupières à la Billie Holiday, sa merveilleuse voix mélancolique à la Luise Rainer, cette actrice de Vienne au visage si triste qui faisait pleurer les Ukrainiens aux alentours de 1910.
La peau de ses pommettes magnifiques a la forme douce d'une poire, ses paupières sont longues et tristes, elle a l'expression résignée de la Vierge Marie, un teint de café et de pêche, des yeux insondables, dédaigneux, athées, pleins de silence et de douleur. (...) dans le taxi qui m'emporte à travers Mexico, j'ai les cheveux dans tous les sens, je suis fou, et nous passons devant le Ciné-Mexico dans un flot de voitures et d'eau et je n'arrête pas de boire tandis que Tristessa interminablement répète que la veille, quand je l'ai mise dans un taxi, le chauffeur a essayé de se la faire et qu'elle lui a donné un coup de poing (...) »
Tout cela a pour moi des relents beaux et angoissants de Verlaine (« Elle a/ L'inflexion des voix chères qui se sont tues. »), d'Orson Welles (La Soif du mal, sur la frontière mexicaine) et de Charlie Mingus (Tijuana Moods).
Du même auteur : Sur la route
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