31 août 2006

(BD) Poulet aux prunes

J'ai beaucoup aimé le cycle de Persepolis, de Marjane SATRAPI. Alors je suis retourné en bibliothèque, et j'ai emprunté deux autres petits volumes d'elle. Voici le deuxième d'entre eux.

Nasser Ali est un grand joueur de tar. Vous savez, cette espèce de petite guitare avec un très long manche tout fin. Seulement voilà : en 1958, à Téhéran, il se dispute avec sa femme, qui sur un mouvement d'humeur casse le précieux instrument.

Ca n'en a peut-être pas l'air comme ça, mais un bon tar, ce n'est pas chose facile à trouver. Nasser Ali bénéficie de sa réputation parmi les marchands d'instruments, qui lui en proposent donc plusieurs. Mais tous sonnent faux, aucun n'est à la hauteur.

Alors Nasser Ali se morfond, est gagné par des idées de suicide. Il s'engueule avec son frère, très engagé politiquement, qui lui reproche de n'être qu'un artiste oisif. Il n'a plus de couple, s'il en a jamais eu. Il ne voit pas sujet à s'enorgueillir de ses enfants, particulièrement son fil cadet.

Alors un beau jour, épuisé, il se couche et décide d'attendre la mort. Tout comme le fit sa propre mère plusieurs années auparavant. A l'époque, il s'en souvient, il priait Dieu pour le rétablissement de sa mère. Alors elle l'avait fait venir dans sa chambre, et lui avait demandé d'arrêter de prier, car il l'empêchait de partir tranquillement.

Dans la maison de Nasser Ali, quelqu'un aussi prie pour le sauver, il croit savoir qui, mais il se trompe. Et de toute façon, Nasser Ali mourra dans huit jours, c'est écrit à la fin du premier chapitre.

Ce volume est l'histoire des huits derniers jours de Nasser Ali.


88 pages, coll. L'Association - 13,30 €

(BD) Broderies

J'ai beaucoup aimé le cycle de Persepolis, de Marjane SATRAPI. Alors je suis retourné en bibliothèque, et j'ai emprunté deux autres petits volumes d'elle. Voici le premier d'entre eux.

Broderies, c'est une discussion entre neuf femmes iraniennes, dans le salon d'une d'entre elles. A l'heure du thé, les langues se délient, et on "ventile" son coeur. Marjane est là, auprès de sa mère, de sa grand-mère et d'amies d'âges et d'expériences différents.

On est à Téhéran. A l'extérieur, les femmes sont voilées et n'ont aucun avenir ; dans l'enceinte de ce salon, entre elles neuf, elles se confient à tour de rôle. Le sujet principal ? La sexualité, bien entendu ! Les "broderies" dont il sera question ne sont pas exactement une occupation de femme rangée...

Marjane Satrapi saisit l'occasion d'un huis clos pour nous raconter tour à tour neuf histoires de femmes iraniennes. Elle omet pudiquement la sienne, préférant parler d'une amie. Les mâles en prennent pour leur grade. Les propos des femmes sont désenchantés et moqueurs, mais il leur reste une certaine tendresse pour la gente masculine.

Un petit volume de presque rien qui dit presque tout sur les hommes et les femmes. C'est drôle, léger, et pourtant l'Iran est omniprésent : mariages arrangés, attirance pour les Iraniens expatriés et pour les Européens, culte de la "pureté" des jeunes femmes...


136 pages, coll. L'Association - 14,25 €

(BD) Blankets

Je viens de découvrir l'une des cinq meilleures B.D. que j'ai jamais lues : Blankets, de l'Américain Craig THOMPSON (né en 1975), sous-titré "Manteau de neige" dans l'édition française.

C'est un volume imposant, mais qui se lit comme s'il était cinq à six fois plus fin. La raison en est simple : c'est poétique, bien écrit, admirablement dessiné, et d'une grande simplicité apparente. Le scénario n'est pas alambiqué, et il sonne vrai d'un bout à l'autre. Blankets est présenté comme l'autobiographie d'adolescence de Craig Thompson.

On y lira surtout les relations entre le héros et son frère cadet, principalement pendant l'enfance, chez leurs parents très croyants et très stricts. Mais ce qui me paraît le plus beau est la première histoire d'amour de Craig. Une histoire à la fois banale et exemplaire, commune et improbable.

Raina est une jeune fille que Craig rencontre lors de vacances de neige organisées par leurs paroisses respectives. Ils ne se sont jamais vus auparavant : lui vient du Michigan, elle du très neigeux Wisconsin. La plupart de leurs congénères sont des enfants gâtés, habillés de marques à la mode de la tête aux pieds, et qui n'ont cure de la religion. Ils y ont substitué un goût profond pour la pensée unique et l'uniformité. Craig et Raina quant à eux ont une foi profonde, mais purement individuelle, ne visant à aucune communion de masse. Craig dit rapidement de Raina qu'elle lui paraît "divine", et c'est dire à quel point elle le touche dans sa chair propre, car elle n'attire pas particulièrement l'attention des autres.

En fuyant les activités forcées et les messes, Raina et Craig vivent ensemble en dehors de cette micro-société. Au retour de ces vacances, ils s'écrivent, de loin. Jusqu'au jour où Raina l'appelle d'une cabine, en pleine tempête de neige. Elle a fait une partie de la route pour le rejoindre, elle ne pourra pas faire le reste. Ses parents vont divorcer. Elle est bouleversée. Elle lui donne ses angoisses en déposition.

Le lecteur suivra Craig de son enfance jusque son départ de chez ses parents, non pas de façon linéaire, mais par sortes de "flashs". C'est la structure même des souvenirs que nous avons de nos propres vies.

Catégorisé "roman graphique", tout comme Jimmy Corrigan de Chris Ware ou les volumes de Seth, Blankets nous prouve en effet le talent exceptionnel de Craig Thompson pour mettre en page et véritablement "mettre en scène" son histoire. Même la déformation des événements par son regard d'enfant puis d'adolescent amoureux est prise en compte, et très subtilement suggérée, de sorte qu'il n'y a aucune place pour le solennel ou l'immature.

A lire, à offrir et à relire.


582 pages, coll. écritures - 23,70 €
dootdootgarden.com, le petit site web de l'auteur

30 août 2006

Lettres à Nelson Algren

« Faut que je termine Simone. » Voilà ce que je me répète tous les jours, et tous les soirs depuis quinze jours. Ca n'a rien de sexuel, non, messieurs-dames : c'est simplement de la littérature...

Lettres à Nelson Algren, c'est un gros volume de lettres sous-titré « Un amour transatlantique » et portant les dates 1947-1964. Ce sont 911 pages de lettres amoureuses et dévouées, et intelligentes et passionnées, adressées par Simone DE BEAUVOIR (1908-1986) à Nelson Algren, écrivain de Chicago, prix Pulitzer en 1949 avec The Man with the golden arm. Elle le rencontre le 23 février 1947, lors de son premier voyage aux Etats-Unis, trois ans après celui de Jean-Paul Sartre. Elle se fait "piéger" par le charme de cet écrivain dur-à-cuire, qui hante les bas-fonds de Chicago en rustre parfait, estimant que c'est son devoir à lui d'écrire sur cette ville. Elle a 39 ans. Dès son départ de New-York pour le retour vers Paris, elle commence à lui écrire des lettres d'amour incroyables. Elle retournera deux fois à Chicago, il viendra deux fois à Paris.

Simone de Beauvoir écrit comme une romantique adolescente qui découvre son coeur et son corps. Pourtant, deux ans plus tard seulement, encore en pleine idylle, elle publie le premier tome du Deuxième sexe, qui deviendra la véritable Bible du féminisme. Quelle schyzophrénie, donc, entre l'intellect et les sentiments : pendant les longs mois où elle fait des recherches poussées sur la condition des femmes dans l'Histoire, elle continue de se dire « votre épouse soumise »...

Ce qui est passionnant par-dessus tout dans ce volume traduit de l'anglais (Beauvoir écrit en anglais, Algren refusant toujours d'apprendre le français), c'est l'arrière-plan littéraire et culturel de la France pendant ces dix-sept années. Beauvoir côtoie bien entendu Sartre, mais aussi Camus, Koestler, Wright, Queneau, Vian, Merleau-Ponty, Gide, Colette, Cocteau, Chaplin, Picasso, Giacometti, Genet, Welles, Mouloudji, Dullin, Jouvet... Elle est non seulement témoin mais aussi actrice de son époque politique et sociale. Elle combat De Gaulle, voyage dans le monde entier, est reçue en Chine comme une ambassadrice, presque enlevée par Castro à Cuba, bannie des Etats-Unis pendant la Guerre froide parce qu'elle a signé autrefois une pétition émanant d'un groupe communiste.

Beauvoir retourne régulièrement aux mêmes endroits : La Pouèze, près d'Angers, où elle apprécie le calme de la campagne, Cagnes-sur-mer, qu'elle adore pour sa beauté et son soleil, Marseille et ses hauteurs où elle aime aller marcher seule, depuis ses premières années dans le pays en tant qu'enseignante. Fascinée par le Sahara, elle reste coite en naviguant dans les fjords, et en lisant à minuit à la lumière de son ciel norvégien.

Et puis pendant ces dix-sept années, Beauvoir écrit L'Amérique au jour le jour, excellent journal de voyage de sa découverte des Etats-Unis, puis Le Deuxième sexe, sur lequel elle ironise énormément dans les premiers temps, puis Les Mandarins, prix Goncourt en 1954, un essai érudit sur le Marquis de Sade, ses Mémoires d'une jeune fille rangée qui se poursuivent avec La Force de l'âge puis La Force des choses, et enfin Une mort très douce, qui témoigne de l'agonie de sa mère. Elle porte à bout de bras la revue fondée avec Sartre, "Les Temps modernes", au lendemain de la guerre. Elle entretient moralement et financièrement plusieurs personnes, dont sa soeur et quelques unes de ses plus proches amies.

911 pages absolument passionnantes, jamais longues, où les déclarations d'amour à elles seules suffiraient à captiver le lecteur. Or il y a tellement plus là-dedans : les coulisses intimes d'une personnalité hors du commun et de l'époque à laquelle elle a vécu. Une lecture qui m'a complètement "tourneboulé".


911 pages, coll. Folio - 9,50 €
En savoir plus sur Simone de Beauvoir grâce à Wikipédia

29 août 2006

(Manga) Quartier lointain

Mon fidèle libraire me présentait il y a quelques mois la collection "écritures", de chez Casterman, dans les termes les plus élogieux. Quartier lointain est un des titres forts de cette collection. Jirô TANIGUCHI, l'auteur de ce diptyque, a été primé à Angoulème pour le scénario de Quartier loitain, tome 1. Que du bon, donc, a priori...

... Mais a priori seulement. En fait, je n'ai pas du tout trouvé bon le scénario : je l'ai trouvé convenu et déjà-vu-dix-fois. Un adulte fait un pélerinage sur la tombe de sa mère, et il redevient l'adolescent de 14 ans qu'il a été. Voyage dans le temps, réécriture du passé qui change le cours du futur. Tout ça se situe quelque part entre Retour vers le futur et 30 ans sinon rien, le second étant une m... hollywoodienne immonde et le premier un chef d'oeuvre de Robert Zemeckis.

Le premier tome de Quartier lointain est bien loin d'être aussi profond et aussi étudié que le premier volet de Retour vers le futur. Et pourtant, il en plagie les grandes lignes. C'est tellement évident que l'hommage de l'auteur au cinéma américain semble assez inopportun, d'ailleurs. Malheureusement aussi, il y a au moins une incohérence de taille dans le scénario : Hiroshi Nakahara, le personnage principal narrateur, s'effondre en 1998 devant la tombe de sa mère, morte en 1975. Lorsqu'il se réveille, il a 14 ans, on est en 1964. Son premier mouvement de panique est de s'enfuir au plus vite du cimetière. Il pense qu'il rêve, mais pour s'en assurer, il préfère se pincer (littéralement) que... jeter un oeil à la tombe de sa mère, qui normalement a encore 11 ans à vivre, eh oui !

Bon, à partir de ce moment-là, on se dit « okey, va pour cet artifice, qui permet au personnage de continuer à ne pas savoir où ni "quand" il est pendant plusieurs pages. Pourquoi pas. » Mais lorsque Hiroshi revient se recueillir au cimetière au terme de sa première journée en 1964, là vraiment, on se demande à quoi pense Jirô Tanigushi, et le jury d'Angoulème...

En dehors du scénario qui n'est donc pas fameux, versant dans la philosophie de comptoir et la rêverie sentimentaliste à répétition, la mise en page est carrément médiocre. Aucun talent pour "mettre en scène" le scénario, aucun plan inédit, que des images très scolaires, et un trait typique de manga occidentalisé pour l'exportation.

Ce qui est rageant, en fin de compte, c'est qu'avec peu de chose ça pourrait être presque bon, tout ça.

Le second tome peine à relever le niveau. Bien entendu, à force de mieux connaître les personnages, on s'attache un peu à eux. Mais l'auteur fait traîner pendant les trois quarts du volume le moment que le lecteur attend depuis longtemps : la date du départ mystérieux et définitif du père de Hiroshi. Hiroshi lui-même en devient du coup presque antipathique à force de ne savoir que faire pour éviter ce départ.

Sa dernière tentative pour inverser le cours des événements est celle à laquelle n'importe qui aurait pensé en premier lieu : parler avec son père. Il tarde à le faire, parce qu'aucune relation n'existe vraiment entre lui et son père. En fin de compte, aucune relation n'existe entre Hiroshi et qui que ce soit : ses "meilleurs amis" sont de vagues figurants, sa "fiancée" une fille qui réapparaît toutes les vingt pages, avec sa mère adulée il n'échange pas trois mots, pas plus qu'avec sa jeune soeur...

Ce manga bénéficie d'une bonne opinion, je crois, mais je n'y vois pour ma part que peu d'intérêt.


198 et 206 pages, coll. écritures - 12,30 € chaque volume

19 août 2006

(BD) Persepolis

Me fiant à leur couverture (décidément... ), j'ai longtemps pensé que les quatre tomes de Persepolis, de Marjane SATRAPI, constituaient une sorte de fresque historique de la Perse antique...

Merveille des prêts en bibliothèque, j'ai pu sans débourser un sou emprunter les quatre tomes d'un coup, et les lire d'une seule traite. Et c'est une découverte !

En fait, c'est un cycle autobiographique dont l'action se déroule majoritairement à Téhéran. L'auteur, Marjane Satrapi, nous y raconte sa vie entre 1979, où elle n'était qu'une gamine de 9 ans, et 1994, date à laquelle elle a définitivement quitté l'Iran pour la France, où elle a réalisé le premier album de bandes dessinées iranien.

1979 et 1980 marquent la fin du règne du Chah d'Iran . Les parents de Marjane sont révolutionnaires, et essayent en vain de lui interdire les manifestations, de plus en plus sanglantes, contre le régime. Le jour de l'exil du Chah, Marjane se souvient de la plus grande fête qu'ait vécue son pays.

Entre 1979 et 1994, Marjane grandit sous un régime qui se dit révolutionnaire, mais qui a surtout pour effet de rétrograder l'Iran d'au moins vingt ans dans son histoire. Elle fait elle-même le rapprochement avec l'invasion arabe, 1400 ans plus tôt, qui avait tué la culture perse. Viennent les huit ans de la guerre Iran-Irak, alimentée en armes par les Occidentaux, trop contents de se débarasser de deux armées puissantes en les faisant s'auto-détruire l'une l'autre. L'armée irakienne, lorsqu'elle sera mise à mal, ne sera plus une menace pour Israël, et le peuple iranien, décimé, ne pourra plus défendre l'Iran contre les assauts des capitalistes fous de pétrole.

L'histoire de Marjane est terrible parce qu'elle grandit dans les pas de la grande et lugubre Histoire. Le port du voile, les rafts, l'hypocrisie religieuse, prennent dans ces pages un poids très concret. Il y a les morts de l'entourage, et ceux du pays tout entier. L'oncle de Marjane, véritable héros insoumis, connaît un sort semblable à des milliers d'autres. Les medias ne sont que des outils de propagande. On encense les martyrs de guerre...

Marjane part à Vienne pendant l'adolescence. Elle en revient très marquée. Ses parents ont vieilli de dix ans en Iran, mais elle leur reproche de ne pas savoir ce que cela fait d'être une "tiers-mondiste". Avec ses petits problèmes d'adolescente mal dans sa peau, elle, elle a vraiment frôlé la mort... à Vienne, en Europe, en pleine rue.

La relation de Marjane avec ses parents est exemplaire. Sa grand-mère est un modèle d'indépendance d'esprit. On pense à ce que disait Sartre au sortir de l'occupation : « Nous étions condamnés à être libres ». C'est un peu l'impression que donne la "résistance" qui s'organise dans la sphère privée des iraniens et des iraniennes. Marjane met un long moment avant de s'en rendre vraiment compte, et cela ne l'empêche pas de se conformer aux conventions, et de faire un mariage peu judicieux.

Une BD exemplaire et nécessaire, dont la lecture me paraît aussi importante que celle de Maus ou du Photographe.


4 tomes de 90 pages environ, coll. L'Association - 14,00 € chaque volume
On en dit beaucoup de bien ici aussi !
Marjane Satrapi adapte Persepolis au cinéma et touche à l'animation : interview

18 août 2006

Sondage : Günter GRASS

Etant donné que la polémique ne cesse d'enfler, suite aux aveux du prix Nobel de Littérature 1999, l'Allemand Günter GRASS, après qu'il a reconnu dans son autobiographie avoir fait partie des Waffen SS pendant la Seconde Guerre mondiale, dites-nous ce que vous pensez de la situation : doit-on condamner l'auteur du Tambour ? Faut-il arrêter de le lire, au nom de l'intégrité intellectuelle ? Y a-t-il prescription ?

Pour vous faire une opinion :
1er article du « Monde »
2è article du « Monde »
3è article de « Libération »
4è article de « Libération »
Et le Pape, il est nazi ?

16 août 2006

(BD) La Vie est belle, malgré tout

Gregory GALLANT alias SETH est l'auteur du récent Wimbledon Green. Comme ce héros de pure fiction, il est lui aussi un passionné de vieux comics américains, et par extension on peut dire qu'il idéalise les années 40 et 50 aux U.S.A.

Dans It's a good life, if you don't weaken, traduit en France par La Vie est belle, malgré tout, son héros est très clairement autobiographique. Il s'appelle "Seth", et c'est l'identité de dessinateur que s'est choisie Gregory Gallant un beau jour des années 80.

Le dessin est volontairement plus réaliste, moins ludique que dans Wimbledon Green. Le ton de l'histoire est aussi moins drôle. C'est un peu comme un bon Woody Allen avec un jazz triste en fond sonore.

Seth, le héros de cette histoire, est un dessinateur américain passionné de vieux comics des années 40 et 50. Paralèllement à son travail d'écriture, il mène des recherches sur des auteurs du passé. Ce volume raconte particulièrement sa passion aussi soudaine qu'exclusive pour "Kalo", un auteur ayant casé, un beau jour de 1951, une illustration dans le célèbre « New Yorker ».

Les recherches de Seth vont le mener pas très loin de ses propres origines. Et Kalo devient vite un prétexte à une véritable introspection. Tous ces déplacements, toute cette euphorie pour découvrir des trésors finalement enfouis en soi, et non ailleurs. Sur le chemin, régulièrement, revient Chet, l'ami dessinateur, qui sert plus de confident que de véritable compagnon de route. Il y a aussi Boris, le vieux chat, et puis, assez accesoirement, une femme, un frère, une mère, ces deux derniers vivant ensemble dans une sorte de grande boîte en carton bien rangée.

Un volume plein de poésie. Seth est décidément un auteur à suivre.

Le credo de son éditeur français est qu'il ne faut pas se fier aux apparences. Un bon prétexte pour ne pas vous montrer la couverture française, d'une laideur incroyable.


170 pages, coll. Tohu Bohu (Les Humanoïdes associés) - 15,50 €
En savoir plus sur Seth chez « Drawn & Quarterly »

14 août 2006

Le Talon de fer

Non, je n'ai pas encore disparu de la circulation et non, je n'ai pas renoncé à la lecture, même après mon intenable résolution... J'étais simplement absorbé dans la lecture du Talon de fer, un roman d'uchronie politique de Jack LONDON (1876-1916).

Ecrit en 1908, ce volume de 316 pages se lit en effet assez difficilement. Transmis à Leon Trotski par la fille de l'auteur après la mort de celui-ci, Le Talon de fer reçut dudit Trotski tous les éloges possibles. Il faut dire qu'on était alors en 1937, et que l'Histoire, coincée entre le Front Populaire, la Guerre d'Espagne et la montée fulgurante du nazisme, donnait raison à la fiction.

De quoi s'agit-il ? Du destin d'un homme d'exception, le héraut de la Révolution. Vous ne le connaissez pas : il s'appelle Ernest Everhard, et c'est un peu Ernest "Che" Guevara avant l'heure. Son parcours, sa personnalité et ses hauts-faits nous sont racontés par Avis Everhard, la jeune bourgeoise oligarque qui deviendra sa femme en cours de route, après une conversion aux thèses marxistes due à son grand amoureux.

Pour les besoins de la cause, London prend du recul. Un recul phénoménal, en fait, puisque nous sommes censés lire le manuscrit perdu par Avis Everhard aux alentours de 1938, et retrouvé par des chercheurs vers 2350. Pourquoi cet artifice ? Pour donner raison à la Révolution que prône Ernest Everhard dans ce qui serait - si la fiction disait vrai - les dernières années obscures de la race humaine avant l'avènement du règne lumineux du Communisme. Eh oui, London verse volontiers dans la didactique, et c'est un "socialiste par en bas"...

L'intention est probablement excellente, et l'on s'attache sans problème à la petite vie de la narratrice, au bouleversement intellectuel et sentimental qu'elle subit en rencontrant son futur mari. On prend plaisir à lire les premiers débats contradictoires entre Ernest le révolutionnaire et les clubs d'oligarques qui l'invitent à discuter, pensant juste se divertir, ou se faire peur sans être menacés. Mais Ernest entend, lui, être une menace bien réelle pour l'oligarchie. Et Avis, la narratrice, nous le dépeint en véritable Christ. Beau paradoxe !

London semble se lasser avant nous de l'histoire de ces deux individus, et s'échappe vers l'histoire de l'Homme en général, alignant les faits historiques censés se produire entre 1912 et 1938. Des notes abondantes, en bas de page, font partie intégrante de l'oeuvre : ce sont elles qui justifient et expliquent depuis l'an 2350 les détails laissés de côté par la narratrice du XXè s. Autrement dit, plus on avance dans la lecture, et plus les destins individuels s'estompent au profit d'une vision générale du destin de l'Humanité... C'est écrasant, ça enlève tout relief, toute humanité, justement. Et puis c'est vraiment très vite ennuyeux.

C'est peut-être bien cela, la pensée communiste : penser tellement fort au lointain bien collectif, qu'on en perd complètement de vue la vie concrète et immédiate de tout un chacun. Quand Ernest Everhard reproche aux patrons capitalistes de ne pas être socialement vertueux, on pense à aujourd'hui, bien-sûr, mais la naïveté de ce reproche fait sourire.

En nous parlant un peu mieux de ses deux héros, de leur vie ensemble et de leurs simples opinions, London aurait pu écrire ici une oeuvre plus essentielle et plus durable. Au lieu de quoi, ses deux références absolues dans le récit sont Dieu et le Communisme, deux illusions dont le XXè siècle, je l'espère, a eu raison.


316 pages, coll. Phébus libretto - 9,90 €
En savoir plus sur Jack London
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