Décidément, les romans de Susie MORGENSTERN se suivent entre mes mains, et je reste insatisfait...
L'HISTOIRE. Ernest est un héros à la Dickens : il est l'héritier d'une longue lignée d'ancêtres tous morts beaucoup trop jeunes, ou qui ont disparu sans crier gare. L'Histoire - et ses guerres - est passée par là, bien entendu. Ernest n'a ni père ni mère : sa mère est morte en lui donnant la vie, et son père a disparu trois jours plus tard, l'abandonnant à Précieuse, la grand-mère d'Ernest. Une femme qui ne se dérida pas durant les 10 premières années de vie d'Ernest. Pour preuve : chez elle, tout est sombre, les rideaux sont moches, on aime la cuisine fade, il n'y a ni télévision ni téléphone, et le dimanche on déchiffre interminablement les mêmes lettres arrivées du front au début du siècle... Mais au bout de 10 ans, par un heureux hasard, Ernest croise le chemin de Victoire, une jeune camarade de classe de son âge, plutôt extravertie. Accessoirement, Victoire est persuadée qu'Ernest et elle sont destinés. Leur mariage aura lieu dans 12 ans, 4 mois et des poussières, affirme-t-elle... Victoire et sa famille nombreuse, les Mortadent, vont aider Ernest à croquer la vie à pleines dents, jusqu'à l'improbable retour du père Morlaisse.
On le voit, l'histoire est plutôt bien tournée, à condition de n'être pas gavé d'ambiances à la Dickens. On retrouve peu ou prou le schéma de Oh, boy ! de Marie-Aude Murail. Plusieurs scènes sont attendrissantes, ou drôles.
... Mais c'est loin d'être aussi bien écrit que chez Murail :
- certaines phrases, tout d'abord, sont carrément incorrectes, ou incohérentes ;
- l'humour n'arrive jamais au meilleur endroit, ne nous surprend jamais, ne nous bouscule pas. Pas d'humour triste, par exemple ;
- le schéma narratif se déroule en faisant entendre ses gros sabots ;
- de façon générale, le ton est larmoyant, plein de bons sentiments, voire carrément dégoulinant de mièvrerie ;
- le point de vue omniscient ne "colle" pas du tout à l'histoire : lorsque le narrateur exprime les pensées ou les sentiments d'Ernest ou de Victoire, pour ne citer qu'eux, les systèmes de représentation du monde, de valeurs, de conceptions langagières sont complètement en décalage par rapport à l'âge supposé des personnages, ça ne "colle" pas et on décroche du passage en question.
Quelle déception : Lettres d'amour de 0 à 10 est annoncé à droite à gauche comme l'un des tout meilleurs romans de l'auteur... et ce n'est que ça ! Une histoire bien ficelée, sans plus, enrobée dans une posture romanesque mal maîtrisée et une langue pauvre, voire incorrecte.
Je ne dis pas que les élèves n'aimeront pas, car il semble qu'ils aiment déjà. Mais il y a très certainement d'autres oeuvres à leur faire découvrir en priorité. Je cite le speech de l'éditeur : « Avec "Lettres d'amour de 0 à 10", elle a obtenu un immense succès. Le livre a reçu une vingtaine de récompenses dont le prix Versele en Belgique et le Totem du Salon du livre de Montreuil. » N'hésitez pas à débattre par commentaires, car j'ai conscience que mon avis personnel, pour une fois, est assez catégorique...
210 pages, éditions Ecole des Loisirs - 8,50 €
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