29 juin 2007

... chassés de la lumière...

Voilà une bien mauvaise traduction du titre original, No name in the street. En fait, il traduirait assez bien Playing in the dark de Toni Morrison. Mais la vision de James BALDWIN est ô combien plus éclairée (pour garder la métaphore lumineuse), plus personnelle, plus pertinente, plus touchante, moins académique, moins scolaire (dans le mauvais sens du terme), moins bavarde que celle d'un prix Nobel.

Ce récit de 220 pages est pour moitié une autobiographie, pour moitié un essai sur la condition des Noirs aux Etats-Unis depuis les années 40 jusqu'en 1970. A partir de souvenirs qui ont marqué son parcours d'homme, d'écrivain et d'intellectuel engagé, James Baldwin insuffle un discours politique précis et radical — celui des Black Panthers — étayé par des exemples vécus — nombreux, malheureusement fameux, évidemment plus cruels les uns que les autres.

James Baldwin nous sert de guide dans une gallerie de portraits célèbres du XXè siècle américain : Malcolm X, Martin Luther King, Sammy Davis Jr (avec qui on le confond dans les hôtels), Marlon Brando (très engagé dans les luttes sociales des Noirs, je l'ignorais). Il attaque de front Nixon, critique l'invasion du Vietnam, l'esprit colonialiste français, le racisme poli des londoniens.

Ce qui est surprenant, c'est de comprendre la familiarité intellectuelle entre "Jimmy" Baldwin et ceux qu'il appelle simplement par leur prénom (on sait pourquoi si l'on a lu Malcolm X) : Malcolm, Martin. Malcolm X s'est fait descendre en plein meeting, et Baldwin travaille sur une adaptation de son autobiographie. Hollywood veut lui imposer Sidney Poitier, qu'il apprécie par ailleurs, mais qu'il ne juge pas assez "noir" pour le rôle : il a plutôt l'allure du gendre idéal.

C'est à cette même époque que James Baldwin reçoit un appel téléphonique. On est deux ans après la marche sur Washington, après les 250 000 Noirs américains venus réclamer pacifiquement leurs droits dans la capitale politique des Etats-Unis. Malcolm en parlait comme d'un "attrape-nigauds", et la suite lui a donné raison. Deux années ont passé depuis le trop célèbre « I have a dream » et Martin Luther King continue de prêcher la non-violence dans le désert américain... Un ami au bout du fil lui dit simplement ceci : « On a tiré sur Martin. Il n'est pas encore mort, mais il a une balle dans la tête. Alors... ».

Si quelques passages sont un peu longs, parce que didactiques, ce livre est un condensé de la personnalité de son auteur et des grandes luttes sociales des années 50 et 60. Dans une langue très limpide et sur un ton qui se veut informel, Baldwin analyse la situation actuelle, ses causes et ses conséquences avec une acuité que n'a pas Toni Morrison.

« Il y a longtemps de cela, j'ai connu une fille blonde, au Village ; nous avions fini par ne plus jamais sortir ensemble de l'immeuble. Elle était beaucoup plus en sécurité seule dans les rues qu'avec moi — réalité brutale et humiliante qui a détruit d'avance tous les liens que nous aurions pu réussir à tisser entre nous. Cela arrive tout le temps en Amérique mais les Américains n'ont pas encore compris combien cette situation est sinistre et tout ce qu'elle révèle sur eux. Alors j'attendais cinq minutes puis je partais à mon tour, seul, par un chemin différent et nous nous retrouvions sur le quai du métro. Nous faisions semblant de ne pas nous connaître ; nous montions dans le même wagon mais par les extrémités opposées ; ensuite nous allions le long des rues faites pour les hommes braves et libres, toujours séparés, jusqu'à notre lieu de destination — la maison d'un ami, un cinéma. Il y avait un seul restaurant où nous osions manger ensemble ; il était tenu par une Noire. Nous défendions notre vie et nous étions très jeunes. Quant à la police, nos supposés protecteurs, nous n'aurions jamais envisagé de leur demander leur appui. Notre liaison en faisait pour nous des ennemis implacables, prêts à nous attaquer par des moyens indescriptibles et presque inconcevables. Ils excitaient la populace, ils restaient là à rire et à bavarder pendant qu'on nous insultait et qu'on nous crachait dessus. Quand j'étais avec une fille, je ne courais jamais, c'était impossible ; je l'ai fait une fois, quand une fille avec qui j'avais couché me gifla en pleine milieu de Washington Square Park. Elle avait récupéré sa vertu blanche et hurlait au viol ! Alors je me mis à courir. Je me rappelle encore le jour et l'heure, la couleur de la lumière, le visage des gens, celui de la jeune fille — elle avait des cheveux roux, courts — et je ne lui pardonnerai jamais. Encore aujourd'hui, je m'émerveille de posséder mes deux yeux, la plupart de mes dents, des reins en état de marche et mon équipement sexuel : mais les petits garçons noirs ont l'avantage de savoir se rouler en boule et de ne pas offrir de résistance aux coups de pied et de poing. J'étais une cible facile pour la police. J'étais noir, facilement repérable et sans défense, le mot d'ordre était de m'« avoir ». Alors moi aussi, très vite, j'ai mis les bouts. Mais les prisons de ce pays sont pleines de petits garçons comme moi. »

Et elles le sont toujours aujourd'hui...


220 pages, coll. Livre de Poche - 3 € (non réédité)

27 juin 2007

(BD) Snoopy

Cet ancien volume à couverture cartonnée, publié en août 1958 aux éditions Holt, Rinehart and Winston, s'intitule Snoopy, tout simplement. N'allez pas en conclure que simplicité rime avec sobriété. La couverture ci-contre suffirait sans doute à vous en dissuader.

Je termine à l'instant la lecture de ces quelques 120 pages, et une fois encore je dois bien admettre que lire les Peanuts en V.O. est un plaisir plus grand que de les lire en V.F. D'abord, peut-être, à cause des interjections, qui sont plus variées et plus exotiques en anglais américain des années 50 qu'en traduction française des années 2000, assurément. Ensuite, parce qu'on perçoit assez facilement (même sans être bilingue, je veux dire) les niveaux de langue, les accents, les tournures idiomatiques. Le langage très oral de Charlie Brown, de Shermy, de Lucy, de Linus, me rappelle les aventures d'Huckeberry Finn pour leur côté populaire et "bon petit gars du pays".

Je ne suis pas sûr d'être très clair, là...

Alors résumons : Snoopy est claustrophobe, mais seulement dans les hautes herbes. Il ne se perche pas encore sur le toit de sa niche. Il imite le python, l'ours polaire, le crocodile, le kangourou, l'élan, le pélican, le rhinocéros... mais aussi Lucy, qui bizarrement n'apprécie pas trop. Un gag à répétition : la gamelle d'eau est vide. Snoopy invente mille et un stratagèmes pour faire comprendre ça à Charlie Brown.

Et puis à part ça il pleut souvent chez les Peanuts, mais ça il paraît que c'est assez répandu de nos jours... Alors on n'a plus qu'à lire et relire les Peanuts de Charles M. SCHULZ, vous ne trouvez pas ?


120 pages env., éd. Holt, Rinehart and Winston (1958) - 4 $

24 juin 2007

Imaqa

Le (la) mystérieux(-se) "Prrrrf" a écrit ce billet pour le Blog à Lire, merci à lui/elle !

Martin est un instituteur de 40 ans qui s’ennuie au Danemark. Alors il se porte volontaire pour aller enseigner au Groenland, dans une petite bourgade isolée : Nunarqarfik.

Il y est accueilli par l’énigmatique Gert, qui dès les premiers jours lui vend une vingtaine de chiens de traîneau qui ne lui appartiennent pas ; et par Jakunqak (le diminutif tellement plus facile à prononcer que « Jacob »), qui revient d’une année passée au Danemark et qui a du mal à se réhabituer à la viande de phoque bouillie après les hot-dog/coca.

Martin est investi par le haut fonctionnaire délégué à l’Education Nationale danoise d’une haute mission : civiliser ces alcooliques d’Inuits, qui se contentent de subir l’immense nature glacée au lieu de lui lancer des défis de taille comme cultiver des plants de tomates sur le bord des fenêtres. Il y a aussi le manuel « Lars et Lone », écrit par ce même haut fonctionnaire, qui apprend aux jeunes Groenlandais comment dire en danois « Je m’appuie sur le tronc des hauts hêtres verts pour observer les voitures », ces phrases essentielles pour des enfants qui n’ont aucune idée de ce que sont ni les hêtres ni les autos.

Bref, un roman à lire sur la plage ou dans sa baignoire, en savourant le style humoristique et parfois mordant de l’auteur, et en ricanant sur cet imbécile principe selon lequel il faut apprendre la même chose à tout le monde, quelles que soient les réalités, du moment que l’on transmet notre mode de vie, note langue, nos idées, à nous, européens qui savons ce que c’est que d’être civilisé.

Cela ne va pas sans rappeler que l’Education Nationale française a longtemps fait apprendre aux enfants sénégalais que leurs ancêtres étaient blonds avec des tresses.


Flemming JENSEN, Imaqa
362 pages, éd. Gaïa (avec les pages roses... ) - 22 €

23 juin 2007

(BD) Don't give up, Charlie Brown

Peanuts. Charles SCHULZ. V.O.

Ce petit livre rouge contient des strips en noir et blanc sur pages jaunies, datés de 1968 et 1969.

EXCLUSIF ! Pour fêter cela, Snoopy enfile une tenue de cosmonaute, s'offre une première excursion dans l'espace et découvre de drôles de choses on the dark side of the moon. Eh bien oui : 1969 ce sont les premiers pas sur la Lune de Neil Arsmtrong !

INTRIGANT ! Alors que les Peanuts s'en vont au cinéma, deux Peppermint Patty apparaissent dans la file : normal, la susnommée n'a pas encore trouvé son apparence définitive à cette date.

RARISSIME ! Charlie Brown parle de son père lors d'un strip très attendrissant : « When I'm real lonesome, I like to go to my dad's barber shop... He always smiles when I go in, and says, "Hi". The two men who work with him are nice to me, too... They always ask me if I've come in for a shave. »

DESOPILANT ! Linus, assis à son pupitre dans la classe de la nouvelle prof remplaçante : « Miss Othmar ? Would you please repeat our homework assigment ? ...(en écrivant) "Write a two-page theme on what we did this summer" ... How do you teachers keep coming up with these great new ideas ? »

Bref : Peanuts. Charles Schulz. V.O. Petit bonheur.


Env. 100 pages, coll. Coronet Books (London 1975) - 0,99 $

Playing in the dark

Toni MORRISON, à travers une série de conférences données dans de prestigieuses universités américaines, en candidature pour l'obtention du Prix Nobel qu'on lui attribuera l'année suivante, s'intéresse à l'absence omniprésente du Noir dans le roman américain dédié au mâle blanc dominant.

Dans une langue bourrée de termes abstraits, démultipliant les propositions subordonnées relatives, les énumérations, les point-virgules, l'auteure afro-américaine la plus en vue des années 1990 tente de démontrer que la présence des Noirs sur le sol américain depuis le XVIIè s. a fortement imprimé sa marque dans une littérature qui pourtant se comporte comme s'ils n'existaient pas.

Les exemples sont peu nombreux et n'arrivent qu'après 40 pages de bavardage. Le premier d'entre eux, d'un intérêt discutable, est de Willa Cather, inconnue au bataillon, qui semble produire des romans de seconde zone à propos desquels on se demande ce que Toni Morrison peut y trouver de consistant.

Après une longue analyse de Willa Cather, Toni Morrison en vient enfin à des auteurs qui méritent une analyse poussée : Mark Twain, Edgar Alan Poe, Ernest Hemingway. A propos de ce dernier, sur lequel elle termine son ouvrage, elle fait bien de nous préciser qu'elle ne règle pas de compte personnel et qu'elle ne vise pas à dicter aux auteurs ce qu'ils doivent écrire ou non, quels sujets ils doivent traiter, de quelle façon, etc. Parce que si elle se défend de le faire, elle le fait bel et bien.

Bref, un ouvrage d'un intérêt théorique pauvre, où l'auteure, peut-être trop proche de son sujet, peut-être simplement mal à l'aise dans le champ théorique, ne parvient au mieux qu'à enfoncer des portes ouvertes.

Toni Morrison : un roman, un essai, deux déceptions ! A suivre...


114 pages, coll. 10/18 - indisponible

22 juin 2007

40 000 visites en 2 ans


Tellement absorbé par mes lectures de vacances (des tonnes de billets tout beaux qui arrivent), j'en oublierais presque de vous remercier pour les quelques 40 000 visites sur ce blog en moins de 2 ans d'existence ! !

Pendant les premiers mois, j'ai parfois eu l'impression d'écrire pour la postérité... et ensuite... ... ça s'est vérifié !

Quelques dates pour se rendre compte :
- 11 juillet 2005 : début du Blog à Lire
- 12 mars 2006 : 2 000è visite !
- 17 octobre 2006 : 10 000è visite !
- 21 juin 2007 : 40 000è visite !

Autrement dit, j'assiste avec le sourire à une augmentation exponentielle de la fréquentation. Actuellement, près de 200 visites sont enregistrées chaque jour, et presque chaque semaine de nouveaux lecteurs se font connaître.

Alors, très simplement, MERCI MERCI MERCI, et... si on continuait comme ça ?
:)

20 juin 2007

(BD) Reviens, Snoopy

Je l'avais trouvé chez mon bouquiniste en format "Pocket B.D.", et je viens d'en terminer la lecture : Reviens, Snoopy de Charles M. SCHULZ.

C'est un volume en français, comme l'indique le titre, paru chez Dargaud en grand volume. Sur la grande page, 5 strips horizontaux de quatre cases. Ici, 2 strips par page, disposés en carré.

Les pages sont colorées, plutôt sommairement.

Bref, on est en présence d'un véritable "Snoopy" à la française, et non d'un "Peanuts" dans le sens original et authentique du terme. Pourtant, un petit texte en postface nous le précise bien, Charles M. Schulz est l'auteur de chaque dessin des Peanuts. Et donc la magie opère, malgré les "écrans" imposés par l'adaptation.

C'est donc encore une fois une lecture jubilatoire. Dans ce tome Linus se met à porter des lunettes, les bulldozers doivent débarquer pour construire une autoroute qui passera juste sous la niche de Snoopy, Woodstock et ses amis n'ont pas encore trouvé leur forme définitive, Cra-Cra passe silencieusement à travers les cases, suivi par son nuage de poussières, et Lucy impose toujours sa loi en fronçant les sourcils et en serrant les poings.

Mais surtout, Snoopy opère ici un nombre incroyable de métamorphoses : on connaissait le vautour, le capitaine de navire, le batteur de baseball, le butteur fou (de football américain)... voici le dinosaure, le saumon qui remonte le courant, le lapin chassé, et même le chaton qui ronronne !

Ça en a peut-être encore l'air, dit comme ça, mais Snoopy et les Peanuts, ça n'est vraiment pas que pour les enfants...


119 pages, coll. Pocket B.D. - 3 €

18 juin 2007

(BD) Security is a thumb and a blanket


































A vous de remplir : « My security is... »

14 juin 2007

L'Œil le plus bleu

Claudia se souvient de son enfance à Lorain, Ohio, avec sa sœur aînée Frieda. Le pathelin est pauvre, poussiéreux, sans perspective. Une rivière coule là-bas, et puis au bout de la grande rue se trouve une maison à étage, et à l'étage on trouve des femmes noires, à louer.

Les enfants sont nombreux dans cette petite ville. Ils évoluent en bandes, par affinités. Bien sûr, les garçons et les filles s'observent de loin la plupart du temps. Ils n'ont pas les mêmes jeux, pas les mêmes modèles auxquels s'identifier : les filles veulent être coiffées comme les vedettes blanches de Hollywood, les garçons se forgent une identité macho à lancer des cailloux dans la rue.

Tout le monde connaît tout le monde par le nom de famille, et par l'endroit où se situe la maison sur la carte de la ville. Une famille en particulier ressort sur ce fond indistinct : celle des Breedlove, arrivés là au temps de la jeunesse de Cholly et Pauline. Aujourd'hui, ils sont les parents du petit Sammy et de Pecola, cette gamine qui a des airs de chien battu.

Claudia fait ici un portrait cruel de Pecola, dont elle finira pas dire qu'elle a absorbé toute la misère que tous les autres déversaient sur elle. Et en effet, l'enfance de Pecola est un chemin de croix qui s'achèvera dans la folie la plus basse.

« Pendant des années, j'ai pensé que ma sœur avait raison : c'était de ma faute. J'avais trop enfoncé les graines dans la terre. Il ne nous est jamais venu à l'esprit que la terre elle-même avait peut-être été trop dure. Nous avions semé nos graines sur notre petit lopin de terre noire, comme le père de Pecola avait semé ses graines dans son petit lopin de terre noire. Notre innocence et notre foi n'étaient pas plus productives que la concupiscence ou le désespoir de son père. Ce qui est sûr aujourd'hui c'est que de tout cet espoir, cette peur, cette concupiscence, cet amour, et cette douleur, il ne reste que Pecola et la terre dure. Cholly Breedlove est mort ; notre innocence aussi. Les graines se sont desséchées et sont mortes ; son bébé aussi. »

C'est le premier livre que je lis de Toni MORRISON, écrivaine afro-américaine de très grande renommée, prix Nobel de Littérature en 1993. C'était aussi son premier roman, paru en 1970. Un récit probablement en partie autobiographique, ne serait-ce que parce que Lorain, Ohio est réellement la ville où est née l'auteure, et que son vrai prénom, Chloe, ressemble étrangement à celui de la narratrice, Claudia.

Une fois ceci dit, je reconnais être impressionné par la qualité de passages entiers de ce livre. En particulier par les vingt premières et vingt dernières pages. Par contre, j'ai été très gêné dans ma lecture par les changements perpétuels de point de vue : d'abord c'est Claudia qui parle, puis elle devient tout d'un coup omnisciente (elle connaît les sentiments et les motivations profondes du moindre figurant dans l'action ?!)... on se rend compte qu'on a laissé Claudia de côté... et de fil en aiguille, ce sont des parenthèses qui s'ouvrent les unes dans les autres et qui ne se referment que bien difficilement. Partis de Pecola, nous voilà arrivés à la rencontre de ses parents, à moins qu'on ne glisse vers l'enfance de son père, le mariage du voisin, l'éducation du grand oncle, ou bien pourquoi pas le rythme cardiaque du chien qui s'allonge toujours sur le palier en face de chez la grande tante dont le prénom provient d'un frère qu'elle n'a pas eu mais qu'elle imaginait lorsqu'étant petite... etc.

Vous voyez ?

La critique est peut-être un peu méchante, mais c'est comme ça que j'ai ressenti la lecture de dizaines et de dizaines de pages de ce roman. A plusieurs occasions, je me suis surpris soupirant, demandant à Toni Morrison « Mais qu'est-ce qu'on en a à faire ? ».

Et comme si cela ne suffisait pas, sans doute parce que je peinais à me concentrer, j'ai remarqué des tics d'écriture, des petits traits systématiques. Comme par exemple de ne jamais trancher : tel personnage est toujours "parfois comme ceci, parfois comme cela", en face de telle situation "il aurait pu faire ceci, mais aussi cela". Je ne sais pas si c'est intentionnel, je ne sais pas si c'est le fait de la traduction (ça m'étonnerait). Finalement, ça donne l'impression que rien n'est jamais ni blanc ni noir dans ce roman. Que tout est gris.

Gris et triste comme une petite négresse enceinte de son père qui rêverait d'avoir, un jour, les yeux les plus bleus.

Toni MORRISON, L'Œil le plus bleu - 1970 (trad. 1994)
218 pages, coll. 10/18 - tirage épuisé

12 juin 2007

Quinzaine Noire

La lecture très marquante du Harlem Quartet de James BALDWIN vient de me donner une furieuse envie de me lancer dans une « Quinzaine Noire ».

L'histoire des Afro-Américains me fascine depuis trèèèès longtemps ! J'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi, d'ailleurs ?

Tout au long de ma vie de lecteur, j'ai lu des romans écrits par des écrivains noirs, je me suis passionné pour les luttes sociales incarnées par Malcolm X et Martin Luther King, et puis j'ai découvert avec un appétit féroce toutes les musiques noires, spécialement le blues, le gospel, les musiques africaines, le jazz...

Et dire que j'habite près de Nantes, "haut-lieu" de la traite des Noirs au XVIIIè siècle... :/

Bref.

En guise d'hommage à tous les frissons artistiques que les œuvres noires m'ont apportés, voici lancée, du 29 mai au 12 juin 2007, la Quinzaine Noire du Blog à Lire !

Ah oui, j'oubliais : Abbey Lincoln vient de sortir son nouvel album, Abbey sings Abbey... Si vous m'en croyez, précipitez-vous dessus !


Des Etats du Sud...
Walther TABORDA et Wander ANTUNES, Big Bill est mort

... à l'Ohio...
Toni MORRISON, L'Œil le plus bleu

... puis à Harlem :
James BALDWIN, Harlem Quartet
Chester HIMES, Imbroglio Negro
SAPPHIRE, Push

Un peu de théorie ?
James BALDWIN, ... Chassés de la lumière...
Toni MORRISON, Playing in the dark

11 juin 2007

(BD) Sauve qui peut

C'est parfois assez insolite de tenir un blog tel que celui-ci. Ce matin par exemple, je veux écrire un billet sur un volume (au format poche) de SEMPE que j'ai lu cette nuit, et voilà Blogger qui me propose "Ecrire un nouveau message". Alors je clique, et j'intitule mon "message" Sauve qui peut... Si c'était un billet d'humeur, ça sonnerait un peu alarmiste, non ?

Et ça ne l'est sûrement pas ! Vous connaissez sans doute mieux que moi Sempé, son art de poser des situations cocasses avec un trait fin sur une page blanche. L'économie du trait n'est qu'apparente, d'ailleurs, parce que Sempé prend toujours le temps de donner des détails vestimentaires et des éléments d'ameublement qui permettent de situer ses dessins dans tel monde ou dans tel autre. Sempé met régulièrement en scène des conflits de sexe, certes, mais aussi de classe sociale. Ceci explique donc cela.

Première page : dans la rue, un kiosque à journaux recouvert de couvertures de magazines épinglées. Un homme en imper et chapeau, portant serviette en cuir et binocle circulaire, devant le kiosque, écarte le haut d'une couverture pour mieux lorgner le bas d'une autre. Je vous laisse deviner ce que l'autre représente...

Un peu plus loin, un petit village vu entièrement en "plongée". Dix maisons, une route au milieu, un panneau qui dit « Bienvenue aux touristes ». A une extrémité du patelin, un hôtel. A l'autre extrémité, au premier plan, juste après le panneau, une bicoque qui porte le titre de "Syndicat d'initiative". On y aperçoit une petite assemblée à travers les vitres. Et en dessous du dessin, un texte :
« Bien entendu, tous les frais de déplacement et de séjour seront à notre charge.
Aussi,
Dans l'espoir d'une réponse favorable, veuillez agréer, Mesdames Brigitte Bardot et Françoise Sagan nos respectueuses salutations. »


On est en 1964 et c'est assez désopilant... Il y a aussi un excellent dessin en plusieurs épisodes sur les liens ambigus entre le rire et les larmes. Très subtil. Je ne vous en dit pas plus, espérant vous mettre simplement en appétit.
:)


120 pages env., coll. Folio - 5,10 €

10 juin 2007

Rosie

Maurice SENDAK, né en 1928, est un auteur et illustrateur de littérature d'enfance et de jeunesse, célèbre pour son album Max et les maximonstres, publié en 1963. Mais il a également produit une série autour d'un personnage féminin, une petite fille espiègle, un peu boudeuse et qui sait faire preuve d'une belle imagination : Rosie.

Un jour une petite voisine de Rosie, Cathy, vient frapper à sa porte. Sur la poignée de cele-ci, Rosie a suspendu une pancarte, sur laquelle on lit « Si vous voulez connaître un secret, frappez 3 fois ». Avouez que c'est intrigant !
« Salut, Cathy !
- Salut Rosie. Alors, ce secret ?
- Je ne suis plus Rosie désormais. Le voilà, ce secret.
- Mais alors, qui es-tu ?
- Je suis Alinda, la chanteuse de charme.
- Oh ! »


Et ainsi de suite. Rosie/Alinda, drapée dans un long tissu bleu, ressemble à un tableau de Sarah Bernhardt. Son expression très noble, son économie de mots, ses décisions autoritaires imposent le respect parmi ses amis : Paul, Simon, Dorothée... Tous l'attendent ce jour-là dans la cour derrière la maison : on y annonce en effet un superbe spectacle de la chanteuse Alinda !

Mais Léon vient faire diversion en arborant tour à tour un casque de pompier ou un chapeau de cowboy. Il n'en faut pas plus pour séduire Paul et Simon, qui partent à ses trousses lorsque Léon se fait envoyer paître par Alinda.

Le lendemain Rosie se tient assise dans la cour sous une couverture rouge. Ses amis la questionne : elle attend le magicien.

Et ainsi de suite. Rosie est une petite fille espiègle, un peu boudeuse et qui sait faire preuve d'une belle imagination. Et Maurice Sendak a un trait superbe, qui n'est pas sans rappeler celui d'un Quentin Blake. Et la mise en page autant que le texte achèvent de faire de Rosie un parfait classique de la littérature jeunesse.


48 pages, coll. L'Ecole des Loisirs 1981 (éd. originale en 1960)
Offert par mon bouquiniste, ce volume coûte 7 € sur Amazon
Sendak est sur Wikipedia

08 juin 2007

(BD) Ojingogo (special preview edition)

"Ojingogo", c'est le titre d'un fanzine où l'on trouve les belles planches de Matthew FORSYTHE. A propos du gars, sachez qu'il est né en 1976, qu'il a eu un tricycle étant môme, que plus tard il lisait les X-Men, que sa guitare le démangea côté hard rock, qu'il roula à moto avant de se mettre au boulot. Depuis, il a tant et si bien bossé que "The Montréal Mirror" déclare à propos de son œuvre qu'elle est, je cite « brilliant and beautiful ». Il a raflé quelques awards au passage... bref.

Voici un petit volume d'Ojingogo, en « special preview edition » : une petite aventure qui s'inscrit sur la page blanche. Le personnage principal, c'est toujours cette petite fille avec des jambes comme des courgettes. Son regard est japonisant, elle a la coiffure de Dragon Ball. Le volume est presque muet, et quand ce n'est pas le cas il est écrit en martien. Et quand un un mini poulpe s'agrippe, en martien, ça fait « sssssSLUCK ! ». Bon, il faut le savoir, c'est tout.

Il y a encore ici deux ou trois histoires en parallèle : celle de Miss Courgette (elle ne s'appelle pas comme ça officiellement, j'espère que ça ne froissera pas Matthew que je la baptise), celle du Carré (vous savez, le gentil personnage qui fait « ak ! », se cache ardemment derrière les buissons et donne des graines aux oiseaux). Et puis il y a Miss Carré (j'invente, encore) et ses petits, qui se promènent sur la surface lunaire et mirent au fond des cratères, cherchant peut-être une trace, une issue... Vous savez en effet depuis la dernière fois que le monde de Matthew Forsythe est à plusieurs dimensions, et que les personnages passent de l'une à l'autre sans rien contrôler.

Et puis, et puis... il y a ici aussi une sorte de Géant Vert, mais blanc. Un Géant Blanc à forme vaguement humaine. Il nomme le monde, et ce qu'il nomme se concrétise. Dans une bulle vide, il fait apparaître un parapluie. Il l'attrape dans la bulle, et le tend à Miss Courgette.

Quel temps fera-t-il dans le prochain livret ? Le suspens est à son comble...

Merci à Matthew pour ce très beau cadeau, merci à Julie pour le transport !
:)


28 pages, Coming up for air - achetez ou lisez en cliquant le lien !

07 juin 2007

Push

Si vous voulez être bousculé(e), frappé(e), mis(e) à mal par un roman, Push, publié en 1996 par SAPPHIRE est fait pour vous.

Precious Jones est une jeune noire paumée de Harlem. Analphabète, violée par son père, utilisée comme esclave par sa mère, elle ne doit sa survie qu'à sa fuite du "foyer familial". La fuite a lieu lorsqu'elle a seize ans. Precious vient d'avoir un deuxième enfant de son propre père.

La première fois, c'était quand elle avait douze ans. Aucun suivi médical pendant la grossesse, pensez ! La petite qui naît est trisomique. Precious la baptise Mongo.

La seconde fois, Precious a seize ans. Un soir, alors qu'elle est en fin de grossesse, sa mère se met à la frapper plus dur que d'habitude, avec une poele en fonte. Precious prend peur pour son bébé. Elle réussit à mettre les bouts.

« J'ai redoublé quand j'avais douze ans pasque j'ai fait un môme à mon père. C'était en 1983. J'ai pas été en classe pendant un an. Là, ça va être mon deuxième môme.

(...) Farrakhan y dit que pendant l'époque de l'esclavage l'homme blanc y venait jusqu'au quartier Harlem des esclaves ousque les lègres vivent séparés des grandes maisons ousque les blancs vivent et y prenait la femme noire qu'y voulait et s'il en avait envie y lui grimpait dessus comme ça pour faire ça même que son homme était là. Ça c'était fait pour faire mal à l'homme noir encore plusse que ça faisait mal à la femme qu'était violée — que l'homme noir y doive rester à mater cte viol.

Mon enfant c'est un joli bébé. C'est pas que je l'aime pas. C'est un enfant de violeur. Mais ça peut aller, Mrs Avers a dit qu'on est un peuple d'enfants violés, que l'homme noir dans l'Amérique d'aujourd'hui est le produit du viol.

N'empêche que je veux pas que personne le sache mais je le dis encore comme quand j'avais douze ans. Comment que je peux dire que l'enfant est de père inconnu quand je le connais ? »


Precious est virée de son école "traditionnelle" parce qu'elle est enceinte. Elle atterrit dans une école "parallèle". Là, Blue Avers, une belle et lumineuse femme noire, va faire prendre conscience à Precious qu'il faut apprendre à lire et à écrire. Que c'est par là que tout (re-)commence.

Au fil des mois, on découvre Precious et ses amies de l'école. Les destins sont plus cahotiques les uns que les autres. L'enseignement de Mrs Avers ? Tout juste ce qu'il faut de démagogie, et une humanité à vous faire pleurer.

Precious parle dans son langage "coloré" (bien sûr, qu'il l'est !), regarde vers demain, se sent fière de Abdul Jamal Louis Jones, son fils, qu'elle appelle « mon petit négrillon tout brillant ». Elle parvient, quelle leçon ! à laisser les rancœurs derrière elle. Même lorsque sa mère, vieux fantôme répugnant, resurgit dans la salle des visites du foyer pour lui annoncer la mort de Carl Kenwood Jones, sidéen.

Je pense que vous l'aviez compris, ce roman de Sapphire ne vous laissera pas indemne...


196 pages, coll. Points Seuil - 5,50 €