03 août 2005

Moi, j'aime le cinéma

Lecteur prévenu pardonnera complètement : la deuxième présentation de cette Quinzaine "polar" concerne un roman paru en 1983, et dont l'action (non plus) ne se déroule pas dans les années 50. Et pourtant...

Dans Moi, j'aime le cinéma, Stuart KAMINSKY fait de nouveau apparaître son héros préféré, Toby Peters, ancien garde du corps à la Warner, ancien flic, actuellement Détective Privé. Dans Pour qui sonne le clap, Toby a déjà sauvé la mise à Gary Cooper, dans Judy et ses nains, c'était Judy Garland... Vous avez compris le principe : Kaminsky est un fada de Hollywood dans la grande époque (celle des années 30-40, qui est aussi l'époque où Humphrey Bogart incarne pour la première fois à l'écran le détective Marlowe, héros créé par Raymond Chandler, CQFD). Et il s'est penché sur les petits détails du parcours des stars que sont Errol Flynn, Fred Astaire, ainsi que les précités. Il en connaît les petitesses, et nous les donne en pâture avec délices.

Cette fois, Toby Peters doit venir à la rescousse de Mae West, icône de la femme fatale, légèrement délavée par le temps et les mariages inopportuns. Pour la photo, voyez la couverture. Cette jolie dame, au départ, s'est seulement fait subtiliser le manuscrit de ses mémoires très intimes, dans lequel elle lâche quelques noms sans les avoir encore masqués, comme c'est prévu avant parution. Mais le coup n'est pas vraiment orchestré par des gens d'Hollywood, contrairement à ce que vous pourriez croire.

En fait, notre cher Toby se passerait bien de fréquenter Mae West en ce moment, car elle s'ennuie dans son palace et son appétit sexuel est au plus fort. Mais Toby doit un petit service à son frère, Phil, dit "le Panda", qui a bien connu la dame quelques jours avant son mariage (à lui). Comprenez : Phil, en surface, craint qu'un malade ne se fasse la peau de Mae West. Le fait est qu'une rançon a été réclamée par un cinglé, qui se croit acteur de génie incompris et rejeté par la machine aux mille rêves. En réalité, Phil pense que sa femme, Ruth, apprécierait moyennement que son vrai nom apparaisse en toutes lettres dans une position "incongrue" au milieu des mémoires de Miss West...

Hasard des hasards, l'action se déroule en 1942 et l'on ne parle que de l'effort de guerre du peuple américain, obnubilé par les attaques de l'armée japonaise, alliée des Nazis. Le lieu ? Los Angeles, forcément, dominée par les lettres géantes sur la colline... Le héros ? En fait, un looser intégral, qui sert de pigeon à une intrigue qui le dépasse pendant un bon moment. Vous m'avez compris, je pense au Privé à Babylone de Brautigan, qui a la même époque arpente les rues de Frisco. D'autant que Toby a lui aussi son "Babylone", un clown nommé Koko qu'il aperçoit à chaque fois qu'il tombe dans les vapes. Et c'est courant.

Autre influence visible : un producteur de cinéma nommé Talbott, qui évolue quelque part entre les personnages semi-réels que sont Mae West, Cécil B. De Mille (réalisateur des mythiques Dix Commandements avec un Charlton Heston / Moïse armé d'un simple bâton...) et W. C. Fields. Talbott, le nom ne vous dit rien ? J'entends pour ma part "Talbot", avec un seul "t", un personnage créé par Raymond Chandler dans La Dame du Lac. Encore une enquête de Marlowe, sauf erreur. On y revient...

L'ironie de Stuart Kaminsky vis-à-vis du polar est presque aussi totale que son sarcasme mêlé de fascination concernant Hollywood. Difficile de choisir un extrait dans ce petit volume délicieux d'un bout à l'autre. Essayons malgré tout :

« — Eh bien, Toby, mon garçon, dit une voix chaude qui interrompit mes rêves, nous avons une nouvelle théorie sur votre cas.
J'ouvris les yeux et vis un visage placide penché sur moi. Visage tolérant, visage d'un homme d'un soixantaine d'années qui en avait vu d'autres et qui avait envie de rentrer chez lui prendre un bain et un verre. Il aurait pu être curé ou soldat. Il aurait même pu être flic, mais j'inclinai à penser qu'il était médecin. Sa blouse blanche et son stéthoscope autour du cou furent mes meilleurs indices. Et ce qui m'aida aussi, c'est que je reconnus la salle des urgences de l'hôpital. J'y étais passé plus d'une fois.
— Je suis le Dr Melanks, dit-il en prenant un épais dossier.
Je savais que c'était le mien. (...) J'avais l'habitude des dossiers épais. J'y trouvais même une sorte de fierté perverse.
— (...) Certains membres du personnel sont maintenant persuadés que la terreur à laquelle vous soumettez votre corps sans interruption a suscité chez lui une réaction de résistance accrue. Non que vous soyez immunisé contre les accidents, mais votre corps a décidé une fois pour toutes : « Au diable, je peux tout encaisser. » Votre crâne n'a plus le droit anatomique de recevoir le nom de crâne. Nous ne savons pas très bien quel nom lui donner.
J'essayai de m'asseoir et m'arrêtai sur un coude. J'étais en chemise d'hôpital.
— A ma connaissance, l'objet se rapprochant le plus de ce que nous appelons plaisamment votre crâne appartenait à un boxeur du nom de Ramirez. Quand sa carrière fut finie, il gagnait de temps en temps quelques pièces en enfonçant les portes avec sa tête. A cette époque, il était devenu incapable de discours cohérents, et semblait croire qu'il était un robot. Comprenez-vous mon allégorie, monsieur Peters ?
— Si je continue à me faire cogner sur la tête, ma cervelle va tourner à la sauce blanche, dis-je.
— Votre cervelle est presque certainement déjà de la sauce blanche, dit le Dr Melanks. Je désire simplement que vous me la léguiez par testament. J'ai soixante-sept ans, de l'arthrite, le coeur malade, de l'artériosclérose et une hérédité peu prometteuse, mais je devrais vous survivre par une marge confortable. »


Un régal, cette écriture ! :)

PS : Je ne sais à qui attribuer la faute, mais on trouve par deux fois le nom de "Gary" (sic) Grant dans ce merveilleux bouquin. La coquille est malvenue, vu le titre...

Stuart KAMINSKY, He Done Her Wrong (en référence au grand film de Mae West : She Done Him Wrong, 1933), 1983
Traduction française par Simone Hilling, Moi, j'aime le cinéma, coll. 10/18, 1983.

255 pages, coll. 10/18 - actuellement épuisé, comme tous les titres de l'auteur dans la collection... ... :(

Aller à la Quinzaine "En-quête(s) des années 50"
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Charles WILLIAMS, La Mare aux diams
Raymond CHANDLER, Le Grand sommeil
Dashiell HAMMETT, L'Introuvable

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un loser, un loser, un loser :) !