26 juin 2006

Le Chevalier inexistant

D'Italo CALVINO (1923-1985), j'avais déjà lu le fort célèbre Si par une nuit d'hiver un voyageur : après plusieurs dizaines de pages surprenantes (ce n'est déjà pas rien !), j'avais trouvé le procédé de l'adresse au lecteur un peu lourd, et difficilement tenable.

Ici, c'est d'un tout autre pari qu'il s'agit. Italo Calvino, récemment programmé à l'Agrégation d'Italien, s'attaque en auteur ultra-cultivé et archi-respecté à la littérature médiévale : roman courtois, chanson de geste. On sait que ces deux genres de récit sont extrèmement codifiés, et qu'on peut y retrouver - non sans plaisir, d'ailleurs - à peu près toujours les mêmes épisodes, de portée hautement symbolique, voire parabolique.

Calvino pose un postulat : soit un chevalier valeureux et répondant en tous points à la définition qu'on se fait du chevalier parfait. Gardez la coquille et videz-la de son oeuf ; ou, si vous préférez, conserver l'armure, et jetez le bonhomme. Que reste-t-il ? Une boîte de conserve usagée, direz-vous... Eh bien vous êtes loin du compte. Car nous avons pris le postulat de Calvino dans le mauvais sens. Reprenons, donc : soit un chevalier inexistant. « Il n'y est pas », ne cesse-t-on de nous dire à son propos. Et pourtant, c'est de loin le plus fier des paladins au service du "Grand Charles", alias Charlemagne.

Pour tout dire, Agilulfe Edme Bertrandinet des Guildivernes et autres de Carpentras et Syra - c'est son modeste titre - a du panache, et ne mérite aucun reproche. Tout juste se montre-t-il trop pointilleux dans l'exécution et la récitation sempiternelle du règlement. Lorsque le vieux roi lui attribue comme écuyer un certain Gourdoulou, qui a le problème inverse du chevalier inexistant (il n'a pas d'identité précise, mais transpire d'existence), selon vous, qu'obtient-on ?

Allez savoir pourquoi un certain Roland Barthes certifie dans la préface à cette édition qu'un des charmes d'Italo Calvino est de faire fonctionner son imaginaire comme une belle mécanique... Peut-être cela vient-il, dans Le Chevalier inexistant, de l'identité très mystérieuse de la narratrice, qui ne commence à dire "je" qu'à la page 42.

Toujours est-il que je ne tarirai jamais d'éloges sur ce récit parodique, drôle, léger et philosophique.


153 pages, coll. Points Seuil - 4,70 €

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