22 mars 2009

Trois livres de Raymond Depardon

Raymond DEPARDON voit ses livres publiés dans la collection Points Seuil, en format poche. Ce sont de beaux livres bien édités et accessibles, alors il faut en profiter...

C'est ce que je tente de faire et à vrai dire je crois que j'ai acheté tous les titres disponibles. J'en ai lu/vu la plupart depuis plusieurs semaines. Laissez-moi vous parler de ces trois là : Le Tour du monde en 14 jours, La Solitude heureuse du voyageur et Errance.

Le principe moteur du premier, Le Tour du monde en 14 jours (sous-titré "7 escales, 1 visa") est bien simple. Depardon décide de faire un tour de la planète en allant si possible dans des endroits, des villes qu'il ne connaît pas déjà. C'est le cas par exemple de Washington, Singapour, Honolulu, Le Cap. Le fil conducteur, c'est le voyage sans but précis. Chaque escale est vaguement présentée et chaque photo succinctement légendée. Les images me semblent de qualité très inégale, proportionnellement à l'intérêt que porte Depardon aux endroits qu'il traverse en coup de vent. Le volume se termine sur un constat un peu stupide : la terre est bien ronde... :/

Notes, ce sont deux interviews de Depardon à vingt ans d'écart. La première est extrêmement mal écrite : en 1978 Depardon est déjà au sommet de son art photographique mais il n'a pas encore affiné son écriture. Les "il y a" scandent maladroitement le texte, dans un ton faussement rugueux du type "dans la vie, il y a", ou plutôt "dans la photo, il y a... ". Le résultat est assez navrant d'inexpressivité et d'imprécision. Dans la seconde interview, celle de 1998, c'est malheureusement l'intervieweur qui gâche tout en entreprenant une psychanalyse de comptoir des photos de Depardon. Tout aussi navrant.
Heureusement il y a les photos qui suivent, intitulées La Solitude heureuse du voyageur, reléguées tout à la fin du volume, d'un bloc, après le discours. Comme quelque chose qu'il faut mériter. Et en l'occurrence ces photos sont parmi les meilleures de Depardon, pour autant que je les connais. Le problème (car il faut toujours qu'il y en ait un) est que ça fait compilation : rassembler les meilleures photos de Depardon pour épater la galerie, c'est un peu facile. Pas facile d'avoir saisi toutes ces magnifiques photos au fil des ans, non. Mais trop facile de balancer tout ça d'un coup. Chaque photo est présentée par un lieu et une date, contredisant parfaitement les 45 pages précédentes dans lesquelles Depardon faisait le deuil du photojournalisme. Bref.
Heureusement donc, il y a les photos. Et en particulier celles de Notes, première partie de l'ouvrage. Depardon fuit la fin d'un amour à Paris et se précipite cœur et âme dans les conflits armés les plus violents de l'époque : de Beyrouth au Pakistan, de Kaboul à Peshawar. Il veut engager sa vie, il veut la risquer et montrer la distance qu'il prend. Son guide francophone est un jeune soldat instruit : il s'appelle Massoud. Photos saisissantes depuis le corps de l'action, chronique quotidienne des tracas d'un petit Français perdu dans une Histoire qui le dépasse.

Le troisième et dernier volume est le chef d'œuvre parmi les trois. Il s'intitule Errance et correspond au travail le plus récent de Raymond Depardon. Enfin la démarche est claire et uniforme, enfin la langue est à hauteur de l'image. Depardon fait à nouveau le tour du globe en quête d'endroits déshabités. Pour une fois la présence humaine n'est pas recherchée. Pour une fois l'horizon est centré et les paysages sont saisis à la verticale, en format 6x9 avec un vieux film qu'on ne trouve plus : la Kodak Verichrome Pan. Depardon essaie d'échapper à la traditionnelle quête du "moment" photographique et se concentre sur les ambiances qui se dégagent de certains endroits (carrefours, routes au milieu du désert, villages poussiéreux... ) lorsqu'il ne s'y passe rien. Et puis il réfléchit à l'errance en tant que concept photographique, sociétal, esthétique.
C'est bien plus qu'un ouvrage abouti : c'est un chef d'œuvre dans son domaine.


coll. Point Seuil - 8 € par volume
Un autre avis sur Errance : par ICI !

10 mars 2009

(BD) Dimitri Bogrov

Il est grand temps que je vous parle de Dimitri Bogrov. Et de Sonia, aussi.

Mon premier est un album dessiné par Benjamin BACHELIER et écrit par Marion FESTRAËTS. Ça vient de paraître en ce début d'année 2009 chez Gallimard, dans la collection "Bayou". Ce sont, nous dit-on, les mystères et les non-dits de son histoire familiale qui ont inspiré à Marion cette histoire. Etonnant, car les pages semblent habitées d'une culture livresque fouillée : Tolstoï, Dosto... on a peine à croire qu'ils n'y soient pour rien, et pourtant.

Dès le premier abord, le livre m'a plu : par son volume tout d'abord. Par ses couleurs, et en particulier le rouge : rouge feu, rouge révolutionnaire, rouge sang de la couverture. Les pages sentent bon le papier coupé, elles ne sont ni trop légères ni trop épaisses. Les cases sont tracées à la main, irrégulières. Les couleurs variées, fonctionnant par atmosphères, rappellent Chagall, Van Gogh, Munch et d'autres. Le bleu est souvent glacé, le rouge synonyme de drame.

C'est l'histoire éponyme de Dimitri Bogrov : un homme dont personne ne se souvient. Après de brillantes études à Saint-Petersbourg, il rejoint son milieu bourgeois d'origine à Kiev, en Ukraine. Il doit s'y installer comme avocat. Sa mère a choisi le mobilier et les papiers peints. Heureusement ou malheureusement, Dimitri rencontre Loulia dans le train qui le ramène à Kiev. Cette jeune femme d'une beauté sans pareille, intellectuelle et libre, le rappelle à ses révoltes de jeunesse, lorsqu'il participait comme elle à une action politique d'extrême gauche.

De retour à Kiev, Dimitri ne peut bien sûr oublier la rousse, l'inflammable Loulia. Mais son amour pour elle va le précipiter à commettre l'irréparable.

J'ai énormément aimé cette BD. Je l'ai lue d'un trait et elle m'a laissé sous le charme pendant quelques temps avant que l'histoire ne se dissipe. Me sont restées les ambiances froides et chaudes, la relation impossible des deux héros, le climat de tension politique. En réouvrant le livre pour écrire ce billet, l'odeur me remplit à nouveau les narines. Je suis déjà partant pour le relire.


124 pages, coll. Bayou - 16,50 €

Post-scriptum : ... ah oui, au fait : mon second est Sonia, qui travaille pour l'agence interactive Supergazol et promeut les titres BD de Glénat, Gallimard, Dargaud... Elle est très sympathique et vous propose de recevoir vous aussi, gratuitement, cette superbe BD. Pour cela rien de plus simple : manifestez-vous par commentaire sur ce billet et un tirage au sort désignera l'heureux vainqueur ! Merci Sonia !
:)