11 août 2005

Le Grand sommeil

Comment faire la connaissance du mythique Philip Marlowe, ou "mes premières conclusions sur la Hard Boiled School"...

Dans Le Grand sommeil, traduit par Boris Vian, Raymond Chandler met en scène son détective de choc et de charme : Philip Marlowe, personnage dont Humphrey Bogart endossa le rôle au cinéma. Bizarrement, d'ailleurs, on y verrait peut-être mieux le viril Robert Mitchum, qui joue tout-à-fait ce type de personnage dans Pendez-moi haut et court (Out of the past, build my gallows high), superbe film en noir et blanc de Jacques Tourneur. Mitchum se rattrapera avec un autre film tiré de Chandler : Adieu, ma jolie.

Bogart dans Le Grand sommeil,

Mitchum dans Adieu, ma jolie : même porté de clope !

Dans cette enquête, Marlowe est embauché par le général Sternwood, un vieux militaire mourant, digne et même fier. Le problème de ce dernier ? Ses deux filles, Vivian et Carmen, ont chacune à sa manière une vie un peu trop agitée : épilepsie, alcoolisme, amour du jeu, mauvaises fréquentations, drogue, pornographie... Marlowe, qui dans les apparences est quand même là pour résoudre une énigme policière (qui va se compliquer par accélérations successives), tient aussi le rôle sans doute très "daté", et en tout cas aujourd'hui bien mal perçu, de héraut de la morale.

Et pourtant, Marlowe, ce n'est pas un mou, pas un tendre, pas une fillette, non : il en a vu, et on va encore lui en faire voir un peu. Simplement, il a, comme le vieux général, un vieux fond mêlé d'honneur et de dignité militaire. Ce qui est bienvenu en 1948, date de parution du bouquin en France. Signalons au passage que la traduction de l'américain est d'un certain Boris Vian. Des origines de Vernon Sullivan, en quelque sorte...

En bref, LE classique du polar. Un héros 100 % "Hard Boiled" (et peu m'importe ce que cela veut dire). Et surtout, surtout, une écriture/traduction qui frôle le génie. En témoigne cet extrait, en guise d'entrée en matière :

« Le Chef du Bureau des Disparus n'est forcément pas bavard. Il ne remplirait pas ses fonctions s'il l'était. Celui-là est un type très astucieux qui tâche... et qui réussit pas mal, au début, à vous donner l'impression d'un bonhomme entre deux âges complètement dégouté de son travail. Le jeu que je joue n'est pas un jeu de jonchets... Il y a toujours une grande partie de bluff à la clé. Quoi que je puisse dire à un flic, il est fichu de ne pas en tenir compte. Et pour ce flic-là, ce que je dis ou rien c'est la même chose. Quand on embauche un type dans ma partie, ce n'est pas comme quand on prend un laveur de carreaux pour lui montrer huit fenêtres et lui dire : « Lave ça, et c'est fini ». Vous ne savez pas par-dessus ou par-dessous quoi je suis forcé de passer pour accomplir votre travail. Je l'exécute comme je l'entends. Je fais de mon mieux pour vous rendre service, et je peux faire quelques entorses au règlement, mais toujours en votre faveur. Le client d'abord, à moins qu'il ne soit malhonnête. Mais, même à ce moment-là, tout ce que je fais, c'est de lui rendre mon tablier et de la boucler. »

Raymond CHANDLER, The Big sleep
traduit de l'américain par Boris VIAN, Le Grand sommeil, 1948

252 pages, coll. Folio Policier - 4,70 €


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