31 janvier 2008

Angela Davis parle

Je ne connaissais même pas le nom d'Angela DAVIS. Malgré les Stones, malgré Lennon.

Militante pour la libération du peuple noir américain dans les années 60 et 70, membre du Parti Communiste, elle a décroché très jeune les plus hauts diplômes d'état en philosophie, et s'est retrouvée chargée de cours dans une université californienne, où elle s'adressait à des amphithéâtres d'étudiants blancs et noirs fascinés par la force et l'autorité de son discours. Le sujet de ses interventions s'appuie sur la dialectique de l'oppression et de la libération. En 1969, lors son premier trimestre, son cours présente les « thèmes philosophiques récurrents de la littérature noire ». L'énoncé sonne à mes oreilles comme un avant-goût de Toni Morrison.

En 1969 un certain Reagan, de son autorité de gouverneur, lui retire son poste. Le tribunal le lui redonne, et l'université aussi. C'est le début d'une opinion populaire favorable à son égard, mais le couple Reagan/Nixon ne l'a pas compris. Alors le gouvernement fédéral l'inculpe dans l'organisation d'un attentat terroriste, et inscrit Angela Davis parmi les dix personnes les plus recherchées des Etats-Unis. La traque commence... et se termine sans tarder. Et cette fois c'est l'incarcération.

L'opinion gonfle alors très vite, non plus seulement sur les campus californiens, mais dans toute l'Amérique, de Los Angeles à Harlem en passant par San Francisco et, bien entendu, le lointain Alabama natal d'Angela Davis. Même à l'étranger, des comités de soutien se mettent en place et réclament la libération d'Angela Davis et de tous les autres prisonniers politiques aux USA : George Jackson, John Clutchette, Fleeta Drumgo, Bobby Seale, Ericka Huggins, Martin Sostre et tant d'autres, qui croupissent dans des prisons insalubres au milieu des cafards et des rats, rabaissés à l'animalité.

Ce recueil paraît en 1971 en France, et se fait le reflet de la lutte pour la libération d'Angela Davis. On y met volontiers l'accent sur ses idées et son combat, et le portrait tourne à l'hagiographie. Elle-même s'exprime assez mal lorsqu'elle explique son combat. Ses cours sont beaucoup plus éloquents. Et si le volume s'intitule Angela Davis parle, malheureusement, elle y parle peu. En réalité, l'ensemble est composé comme un dossier de presse où l'on n'accède qu'après de nombreux obstacles à la parole du messie. Les contributeurs sont en effet gavés de Communisme au point de prétendre (on est en 1971, d'accord, mais quand même) que l'URSS a toujours été aux côtés des peuples opprimés et les USA du côté des oppresseurs... Angela Davis elle-même se décrédibilise rapidement en répétant de façon compulsive les slogans guerriers des Black Panthers, auxquels elle a adhéré en 1968.

Je connaissais le geste de Rosetta Parks, le rêve de Martin Luther King, l'excellente autobiographie de Malcolm X, et tant d'autres combats ayant un rapport plus ou moins lointain avec la littérature...

Angela Davis me rappelle une autre figure dont on parle beaucoup cette année : Simone de Beauvoir. Car Angela Davis, pour ce que je connais d'elle aujourd'hui, est avant tout une intellectuelle et une femme de son temps. En tant qu'intellectuelle et philosophe, comme Beauvoir, elle se trompe parfois lourdement dans sa lecture politique du moment. En tant que femme et en tant que noire, son rôle est emblématique et libérateur.

Alors je lui passe volontiers de ne pas avoir toujours eu raison, et je lui souhaite, avec quatre jours de retard, un excellent soixante-quatrième anniversaire, puisqu'elle a eu le bon goût de rester en vie.


93 pages, éd. Notre Temps - en occasion
Angela Davis est aussi sur Wikipedia

26 janvier 2008

Anticyclopédie Universelle

Pour quelqu'un qui adore l'œuvre et la personnalité de Diderot - c'est mon cas -, ce livre pourrait facilement être un ratage complet, une vague publication de seconde zone essayant de parodier l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

Eh bien je vais vous dire franchement : pour moi ce petit opuscule de 126 pages est un petit chef d'œuvre, rien de moins !

D'abord, parce que les auteurs ne font pas référence à l'Encyclopédie du XVIIIè pour rien : ils en intègrent au contraire le principe fondamental, qui est de faire la somme des savoirs, "tout sur tout (et son contraire)".

Ensuite, parce que lorsque un schéma est plus clair qu'un texte, c'est le schéma qui sert d'article.

Enfin, parce que héritiers du véritable Diderot, ils entreprennent leur ouvrage avec humour et dérision.

Donc bravo à Emmanuel VINCENOT & Emmanuel PRELLE pour cette Anticyclopédie Universelle savante et désopilante, destinée en premier lieu aux trentenaires et quadragénaires, tant il est vrai que les articles sur Goldorak, Pif et autres Rahan les toucheront probablement plus facilement que les lecteurs plus âgés, ou plus jeunes.

Rien que l'avertissement aux lecteurs, intitulé "De l'intérêt d'un dictionnaire déraisonné des sciences, des arts et des mœurs" est un programme intellectuel, politique et humoristique à lui seul. Les chapitres successifs sont organisés comme il se doit : Histoire, Education, Spiritualité et philosophie, Arts et spectacles, Sciences et techniques, Témoignages et documents sur le monde moderne.

De nombreux contributeurs auto-fictifs participent à l'élaboration de cette cathédrale du gai savoir. L'article sur les années 1980, celui sur le Paradis ou celui sur le personnage de fiction (Rahan) sont parmi les meilleurs.

Un petit livret beau à regarder, qui peut s'ouvrir à n'importe quelle page et se lire dans n'importe quel sens, sauf le sens littéral, peut-être.

Précipitez-vous chez votre libraire et réclamez haut et fort l'Anticylopédie Universelle de Vincenot & Prelle. Le seul bouquin avec une baleine porte-clefs sur la couverture !


126 pages, éd. Mille et Une Nuits - 15 €

21 janvier 2008

Mémoires glacées

Parlons chiffré : si vous faites partie de ces lecteurs vicieux qui aiment autant le travail du style que le contenu des livres, alors ce livre risque de vous satisfaire à 50 %.

Nicolas VANIER est une personnalité française qui jouit d'une bonne presse. C'est d'abord un aventurier, mais aussi le réalisateur de plusieurs documentaires, moyens et longs métrages. Il s'est engagé très tôt dans la défense de la nature, plutôt façon Nicolas Hulot que Brigitte Bardot.

Et il écrit, et semble avoir ses lecteurs.

Ce bouquin m'a été offert par les éditions XO, via la "Masse critique" de Babelio. J'ai donc quelque remords à le critiquer...

Alors soyons franc mais bref : les histoires courtes que racontent ici Nicolas Vanier m'ont au départ fait bailler comme un documentaire sur la reproduction des loutres sur Arte le samedi soir en prime time. Puis, sans m'en rendre compte, j'ai accroché. J'y pensais le jour, j'y pensais le soir, je voulais continuer... Et pourtant, c'est écrit dans une langue extraordinairement plate. Les tentatives d'effets de style sont foireuses. La page est ampoulée de métaphores à vous en donner la nausée.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle, après avoir passé deux ou trois jours sans toucher au gros bouquin, je n'ai pas réussi à m'y remettre.

Sur la moitié du livre que j'ai lue, je pense pouvoir dire qu'il y a là matière à un sacré dépaysement, et même à faire des scenarii vraiment pas banals. Au-delà de ça - mais ce n'est déjà pas mal - et même en lisant vite, l'absence totale de style risque de vous gêner. Vous êtes prévenus.


330 pages, éd. XO - 19,90 €
livres, critiques citations et bibliothèques en ligne sur Babelio.com

10 janvier 2008

Cahier de gribouillages pour les adultes qui veulent tout plaquer

Bon, en attendant de tout plaquer je vais essayer de rattraper mon retard sur les derniers billets, puis vous parler de cette œuvre petite par son épaisseur, légère dans le ton, mais bien visible sur les rayonnages des libraires et, finalement, d'une profondeur sarcastique indiscutable.

Moi aussi je peux faire des phrases longues.

Alors ça va de la carte postale à compléter au Q.C.M., en passant par les schéma pour mieux se détendre au bureau, les nouilles pour faire un collier, le cube en papier pour "monter ta boîte"... On trouve aussi des bons points démission, à remettre à votre employeur. Lorsque la planche est finie, vous pouvez démissionner !

Le tout est basé, vous l'aurez compris, sur des jeux de mots et des images suggestives, qui nous rappellent combien pauvres nous sommes face à l'impitoyable vie active.

De là à dire que "Oser" quitter son travail pour "enfin être libre" est un raccourci...


48 pages, éd. Panama - 7,50 €

01 janvier 2008

(BD) Bingo

En 1988, au rayon BD, je ne connaissais quasiment que Les Petits hommes, dont les planches étaient publiées dans le "Spirou Magaziiiine" (avec 4 "i") et éditées chez Dupuis. En farfouillant à droite à gauche, j'ai retrouvé les tomes 37, 23, 33, 32, entres autres. Quasiment toutes les couvertures de la série portent en guise d'en-tête, justement, une tête de Renaud, le héros des Petits Hommes, une pipe à la bouche.

A l'heure ou même Lucky Luke a troqué ses cigarettes roulées contre une brindille, à l'heure où il est définitivement interdit de fumer, vous comprenez pourquoi j'ai voulu relire un épisode des Petits Hommes. Mon choix s'est porté sur le numéro le plus récent que j'avais sous la main, le 37, parce que je voulais me faire une idée de ce que SERON, le "desnariste" de la série, était encore capable de faire. Et puis il y a cette jolie mise en abîme sur la première de couverture, qui promettait beaucoup.

Quel temps perdu ! Si le dessin m'a doucement replongé dans l'enfance, le scénario, lui, m'a ennuyé comme une partie de poker dans une maison de retraite un 14 juillet.

Vous le savez peut-être, mais les petits hommes sont devenus petits à cause d'une météorite qui est un jour tombée du ciel. A son contact, tout devient petit : hommes, animaux, objets du quotidien, et même les mécanismes les plus complexes comme les autos.

Bon. Un jour un vilain garnement, nommé Bingo, subtilise un morceau de la météorite exposée en plein champ comme une relique. Il sort de la caverne (oui, les petits hommes, par nécessité, ont trouvé refuge dans une caverne), et se met à utiliser les pouvoirs du caillou sur tous les objets de "grands" qui se trouvent sur son passage : panneaux de signalisation, portes, voitures... Jusqu'au moment où il se fait capturer par un grand. Le grand homme se met en tête de le vendre comme un phénomène à la science ou à la foire. Mais Renaud, notre héros, arrive en soucoupe volante miniature et sauve Bingo.

Fin.

Pas tout à fait affligeant, mais pas loin quand même. Et pourtant, il y a des tomes vraiment sympathiques dans cette série, comme par exemple Alerte à Eslapion ou Petits hommes et mini gagagags.


48 pages, éd. Dupuis - 8,50 €
Le tome 43, paru en 2007, s'intitule Castel Montrigu

(BD) Monsieur Lambert

Jean-Jacques SEMPE a publié en 1965 une superbe histoire dessinée sur un groupe d'hommes qui tous les midi, "Chez Picard", refont la vie, le boulot et les femmes. Ça s'appelait Monsieur Lambert. En 1975, il a rempilé avec L'Ascension sociale de Monsieur Lambert, suite des aventures intérieures de son héros éponyme.

C'est l'occasion du 400è billet sur le Blog à Lire !


164 pages, éd. Denoël - 22 €

(BD) Kinderbook

C'est dans une atmosphère et sur un support très austère que se déroulent ces dix nouvelles graphiques de Kan TAKAHAMA. Pour le public francophone, cette auteure japonaise née en 1977 s'est faite remarquer avec le superbe Mariko Parade, cosigné par Frédéric Boilet et publié dans la très belle collection "Ecritures" chez Casterman.

Passé l'effet de la couverture grise et des pages grises et blanches sur fond noir, et si l'on fait l'impasse sur quelques longueurs, ce manga est impeccablement dessiné et "mis en scène". Différents styles s'y confondent avec un naturel désarmant, et les effets visuels, jamais gratuits, servent à souligner les partis pris narratifs. On se croirait en face d'un de ces courts-métrages qui vous posent une ambiance en moins de deux secondes et se terminent deux minutes plus tard, vous laissant hagard.

Certains thèmes sont particulièrement bien exploités chez Kan Takahama : la famille, le couple dans lequel l'homme est toujours beaucoup plus âgé que la femme, l'intelligence des vieux, la tentation des jeunes adultes de sacrifier leur personnalité sur l'autel de la réussite sociale, les désillusions des enfants à propos des adultes qui les entourent, en particulier les pères, oncles et grands-pères : même à l'heure de leur mort, « les hommes sont sans cœur. Tout ce qu'ils ont en tête, c'est les femmes qu'ils n'ont pas pu avoir et le travail qui reste. »

L'une des nouvelles, "Tell me how to survive", accueille une photo de Fred Boilet comme un clin d'œil. C'est celle-là que j'ai préféré. Le rendu des dialogues y est particulièrement réussi, entre une bande de copains d'école qui passent à l'âge adulte et ne peuvent s'empêcher de se juger les uns les autres. Lorsque les attentats du 11 septembre 2001 leur sautent aux yeux depuis le poste de télé qui ne faisait jusqu'ici qu'un fond sonore diffus à l'autre bout de la pièce, ils ne perçoivent pas que l'une d'entre eux, la plus fragile peut-être, s'apprête à lâcher prise.


207 pages, éd. Casterman - 9,95 €