22 novembre 2007

Jacques le Fataliste et son maître

Ah, que c'est bon de se re-relire un classique ! Surtout quand c'est un classique licencieux... et pour ça, Denis DIDEROT est notre homme...

Mais qu'il est difficile de dire pourquoi l'on aime un classique ! C'est pourquoi, faute de mieux pour le moment, rendez-vous dans les commentaires pour quelques lignes dans le texte.


308 pages, coll. Hatier poche - 5 €

3 commentaires:

Nicolas a dit…

Extrait érotique n°1 :
Jacques vient de raconter à son maître son dépucelage avec Justine, l’amoureuse de son ami d’enfance, Bigre fils, puis sa « confirmation » sexuelle avec Suzanne/Suzon. Dame Marguerite, une autre femme respectable du village, l'emmène au moulin voisin, où elle a du grain à moudre...

MARGUERITE. – Assieds-toi là, et jasons un peu.
JACQUES. – Dame Marguerite, je le veux bien…
Me voilà assis à côté d’elle pour jaser et cependant nous gardions le silence tous deux. Je lui dis donc : « Mais, dame Marguerite, vous ne me dites mot, et nous ne jasons pas.
MARGUERITE. – C’est que je rêve à ce que mon mari m’a dit de toi.
JACQUES. – Ne croyez rien de ce que votre mari vous a dit ; c’est un gausseur.
MARGUERITE. – Il m’a assuré que tu n’avais jamais été amoureux.
JACQUES. – Oh ! pour cela il a dit vrai.
MARGUERITE. – Quoi ! Jamais de ta vie ?
JACQUES. – De ma vie.
MARGUERITE. – Comment ! à ton âge, tu ne saurais pas ce que c’est qu’une femme ?
JACQUES. – Pardonnez-moi, dame Marguerite.
MARGUERITE. – Et qu’est-ce que c’est qu’une femme ?
JACQUES. – Une femme ?
MARGUERITE. – Oui, une femme.
JACQUES. – Une femme… Attendez… C’est un homme qui a un cotillon, une cornette et de gros tétons.
LE MAÎTRE. – Ah ! scélérat !
JACQUES. – L’autre ne s’y était pas trompée ; et je voulais que celle-ci s’y trompât. A ma réponse, dame Marguerite fit des éclats de rire qui ne finissaient point, et moi tout ébahi, je lui demandai ce qu’elle avait tant à rire. Dame Marguerite me dit qu’elle riait de ma simplicité. « Comment, grand comme tu es, vrai, tu n’en saurais pas davantage ?
– Non, dame Marguerite. »
Là-dessus dame Marguerite se tut, et moi aussi. « Mais, dame Marguerite, lui dis-je encore, nous nous sommes aussi pour jaser et voilà que vous ne dites mot et que nous ne jasons pas. Dame Marguerite, qu’avez-vous ? vous rêvez.
MARGUERITE. – Oui, je rêve… je rêve… je rêve… »
En prononçant ces je rêve, sa poitrine s’élevait, sa voix s’affaiblissait, ses membres tremblaient, ses yeux s’étaient fermés ; sa bouche était entrouverte, elle poussa un profond soupir, elle défaillit et je fis semblant de croire qu’elle était morte et me mis à crier du ton de l’effroi : « Dame Marguerite ! dame Marguerite ! parlez-moi donc ; dame Marguerite, est-ce que vous vous trouvez mal ?
MARGUERITE. – Non, mon enfant ; laisse-moi un moment en repos… Je ne sais ce qui m’a prise… Cela m’est venu subitement.
LE MAÎTRE. – Elle mentait.
JACQUES. – Oui, elle mentait.
MARGUERITE. – C’est que je rêvais…
JACQUES. – Rêvez-vous comme cela la nuit à côté de votre mari ?
MARGUERITE. – Quelquefois.
JACQUES. – Cela doit l’effrayer.
MARGUERITE. – Il y est fait… »

Marguerite revint peu à peu de sa défaillance, et dit : « Je rêvais qu’à la noce, il y a huit jours, notre homme et celui de la Suzanne se sont bien moqués de toi ; cela m’a fait pitié, et je me suis trouvée toute je ne sais comment.
JACQUES. – Vous êtes trop bonne.
MARGUERITE. – Je n’aime pas qu’on se moque. Je rêvais qu’à la première occasion ils recommenceraient de plus belle et que cela me fâcherait encore.
JACQUES. – Mais il ne tiendrait qu’à vous que cela ne vous fâchât plus.
MARGUERITE. – Et comment ?
JACQUES. – En m’apprenant…
MARGUERITE. – Et quoi ?
JACQUES. – Ce que j’ignore, et ce qui faisait tant rire votre homme et celui de la Suzanne, qui ne riraient plus.
MARGUERITE. – Oh ! non, non. Je sais bien que tu es un bon garçon, et que tu ne le dirais à personne, mais je n’oserais.
JACQUES. – Et pourquoi ?
MARGUERITE. – C’est que je n’oserais.
JACQUES. – Ah ! dame Marguerite, apprenez-moi, je vous en prie, je vous en aurai la plus grande obligation, apprenez-moi… » En la suppliant ainsi, je lui serrais les mains et elle me les serrait aussi ; je lui baisais les yeux et elle me baisait la bouche. Cependant il faisait tout à fait nuit. Je lui dis donc : « Je vois bien, dame Marguerite, que vous ne me voulez pas assez de bien pour m’apprendre, j’en suis tout à fait chagrin. Allons, levons-nous, retournons-nous-en… » Dame Marguerite se tut ; elle reprit une de mes mains, je ne sais où elle la conduisit, mais le fait est que je m’écriai : « Il n’y a rien ! il n’y a rien ! »
LE MAÎTRE. – Scélérat ! double scélérat !
JACQUES. – Le fait est qu’elle était fort déshabillée, et que je l’étais beaucoup aussi ; le fait est que j’avais toujours la main où il n’y avait rien chez elle, et qu’elle avait placé la main où cela n’était pas tout à fait de même chez moi ; le fait est que je me trouvai sous elle et par conséquent elle sur moi. LE fait est que ne la soulageant d’aucune fatigue, il fallait bien qu’elle la prit tout entière ; le fait est qu’elle se livrait à mon instruction de si bon cœur, qu’il vint un instant où je crus qu’elle en mourrait. Le fait est qu’aussi troublée qu’elle, et ne sachant ce que je disais, je m’écriai : « Ah ! dame Suzanne, que vous me faites aise ! »
LE MAÎTRE. – Tu veux dire dame Marguerite.
JACQUES. – Non, non. Le fait est que je pris un nom pour un autre, et qu’au lieu de dire dame Marguerite, je dis dame Suzon. Le fait est que j’avouai à dame Marguerite que ce qu’elle croyait m’apprendre ce jour-là, dame Suzon me l’avait appris, un peu diversement, à la vérité, il y avait trois ou quatre jours. Le fait est qu’elle me dit : « Quoi ! c’est Suzon et non pas moi ?... » Le fait est que je répondis : « Ce n’est ni l’une ni l’autre ». Le fait est que tout en se moquant d’elle-même, de Suzon, des deux maris, et qu’en me disant de petites injures, je me trouvai sur elle, et par conséquent elle sous moi, et qu’en m’avouant que cela lui avait fait bien du plaisir, mais pas autant que de l’autre manière, elle se retrouva sur moi et par conséquent moi sous elle. Le fait est qu’après quelque temps de repos et de silence, je ne me trouvai ni elle dessous, ni moi dessus, ni elle dessus, ni moi dessous ; car nous étions l’un et l’autre sur le côté, qu’elle avait la tête penchée en devant et ses deux fesses collées contre mes deux cuisses. Le fait est que si j’avais été moins savant, la bonne dame Marguerite m’aurait appris tout ce qu’on peut apprendre.


éd. Hatier poche, p. 229-232

Nicolas a dit…

Extrait érotique n°2 :
A la fin du roman, le narrateur nous propose plusieurs versions de la fin du récit des amours de Jacques, blessé au genou, avec Denise qui le soigne…

Une autre fois, c’était le matin, Denise était venue panser Jacques. Tout dormait encore dans le château. Denise s’approcha en tremblant ; arrivée à la porte de Jacques, elle s’arrêta, incertaine si elle entrerait ou non ; elle entra en tremblant, elle demeura assez longtemps à côté du lit de Jacques sans oser ouvrir les rideaux. Elle les entrouvrit doucement, elle dit bonjour à Jacques en tremblant. Jacques lui dit qu’il n’avait pas fermé l’œil, qu’il avait souffert et qu’il souffrait encore d’une démangeaison cruelle au genou. Denise s’offrit à le soulager. Elle prit une petite pièce de flanelle, Jacques mit sa jambe hors du lit, et Denise se mit à frotter avec sa flanelle au-dessous de la blessure d’abord avec un doigt, puis avec deux, avec trois, avec quatre, avec toute la main. Jacques la regardait faire, et s’enivrait d’amour. Puis Denise se mit à frotter avec sa flanelle sur la blessure même dont la cicatrice était encore rouge, d’abord avec un doigt, ensuite avec deux, avec trois, avec quatre, avec toute la main. Mais ce n’était pas assez d’avoir étreint la démangeaison au-dessous du genou, sur le genou, il fallait encore l’étreindre au-dessus où elle ne se faisait sentir que plus vivement. Denise posa sa flanelle au-dessus du genou, et se mit à frotter là assez fermement, d’abord avec un doigt, avec deux, avec trois, avec quatre, avec toute la main. La passion de Jacques, qui n’avait cessé de la regarder, s’accrut à tel point que n’y pouvant plus résister, il se précipita sur la main de Denise… et la baisa.

éd. Hatier poche, p. 303-304

100 fiches de lecture a dit…

Bonjour,
En ligne sur mon blog, une fiche de lecture consacrée à Jacques le Fataliste de Diderot : http://100fichesdelecture.blogspot.fr/2015/05/diderot-jacques-le-fataliste-et-son.html