17 novembre 2007

Brouillard au pont de Tolbiac

« Un salaud mijote des saloperies. Viens me voir à l’hosto. Salpêtre, salle 10… Je t’expliquerai comment sauver la mise à des copains. Fraternellement, Abel Benoît. » Voilà la bafouille que reçoit Nestor Burma. Soit. Mais qui est Abel Benoît ? Le fameux privé ne connaît personne qui réponde à ce blase-là.

En se rendant à la Salpêtrière, une bombe gitane l’accoste : « N’y allez pas, c’est inutile ».
- Inutile ? dis-je. Et pourquoi ?
Elle avala péniblement sa salive. Les muscles de son cou se bandèrent. Sa poitrine se souleva, tendant davantage la laine de son tricot. Dans un murmure, elle prononça trois mots presque inaudibles, trois mots que j’ai souvent entendus au cours de ma carrière, trois mots qui forment le fond habituel de mes aventures, trois mots que je devinais lorsqu’ils passèrent ses lèvres plutôt que je ne les perçus, et que je lui fis répéter, je ne sais pourquoi.
- Il est mort, dit-elle. »


Ce n’est qu’en observant le blair un tantinet de traviole du mort que Nestor Burma reconnaît un ancien camarade anarchiste, un vieux copain. Voilà qui le replonge dans les souvenirs fumeux et flous de sa jeunesse… Mais le bifton reste tout aussi brumeux. Alors Burma se met à arpenter les rues du 13e, pour tenter de percer cette énigme, et ce brouillard glacé, « hostile, fumeux et dégueulasse (...) qui a pris possession du quartier ».

On retrouve dans la langue de Léo Malet l’alliage subtil de l’argot et du langage littéraire, un mélange des registres passant du tragique (le sort de la belle Bélita Moralès) au parodique (le portrait de Dolorès, puis la lutte entre cette Gorgone au fiass démesuré et le détective, qui ne parvient pas à se dépêtrer de ces chairs molles et emprisonnantes).

Les péripéties s’enchaînent, entraînantes et souvent drôles. Le narrateur, Nestor Burma, a l’humour des gens à qui on ne la fait plus, à la fois noir et détaché, parfois caustique, et aime surprendre son lecteur, par l’énonciation brutale de nouvelles actions ou de nouveaux indices, ou par la tendresse qui se dégage des évocations des gens aimés.

Côté personnage, Nestor Burma est un descendant des durs à cuir américains à la Hammett, et un aïeul du Fabio Montale de Izzo : il est à la fois désabusé, endurci par son métier , et révolté quand le respect de l’humain est bafoué sans scrupule.

Comme dans les romans noirs, le poids de la ville, ou plutôt, ici, du quartier est prédominant : le roman se fait aussi témoin social des inégalités, de la misère des petits métiers aujourd’hui disparus : marchande ambulante de fleurs, chiffonnier, marchand receleur...


160 pages, coll. Pocket classique - indisponible
Ce billet est proposé par une lectrice du BàL

2 commentaires:

Nicolas a dit…

Fichtre ! C'est bien écrit !
Merci L.-F. Céline...

Anonyme a dit…

Très bien écrit (Malet et Céline)...

Mais où est Guy Marchand ?