21 décembre 2007

Dom Juan

Non, je n'oublie pas que je vous dois un beau billet sur Jacques le Fataliste et son maître, le chef d'œuvre de Denis Diderot paru en 1796. Mais franchement, est-ce une raison pour ne pas vous parler d'abord de ma re-re-re-re-relecture du Dom Juan de MOLIERE, créé en 1665 par la troupe de Monsieur, frère du Roi Louis XIV ?

Pfuit ! Certainement pas !

Le Dom Juan de Molière est une réécriture d'une pièce créée en 1630 en Espagne par Tirso de Molina, un religieux : El Burlador de Séville, comprenez L'Abuseur de Séville sous-titrée "le Convive de Pierre". Vous connaissez tous le personnage de Dom Juan, justement parce qu'il n'est pas resté dans l'histoire qu'un simple personnage littéraire, mais parce qu'il est passé, à partir de la version de Molière, dans la catégorie très sélect des mythes. Comme plus tard Faust et Dracula (pour le côté monstrueux), Casanova et Cyrano de Bergerac (dans la catégorie "ils ont existé mais leur héritage est édulcoré"), ou bien encore Lolita (sorte d'écho féminin du scandaleux Dom Juan).

La pièce de Molière est en cinq actes, chose peu commune pour une comédie du XVIIè siècle, qui pour la plupart se présentent en trois actes seulement, les deux actes supplémentaires étant plutôt l'apanage des tragédies classiques. C'est que justement Dom Juan, comme Le Tartuffe à laquelle elle succède dans l'œuvre du plus génial des dramaturges français, est une comédie sérieuse. Entendez : ça fait rire mais pour mieux critiquer.

En effet, Le Tartuffe avait été créée en 1664 par Molière et sa troupe, sous la protection du frère du Roi. Comédie en trois actes qui se moquait des faux dévots, une variété animale très répandue à la cour, selon l'auteur. Ce discours étant d'une vérité insoutenable pour certains, la pièce est aussitôt jouée, aussitôt censurée. En 1667, Molière récidive après avoir maquillé son personnage de faux dévot à la truelle, et lui avoir changé son habit de religieux pour un habit de gentilhomme. Aussitôt jouée, aussitôt censurée. En 1669 enfin, la troisième et dernière version écrite du Tartuffe est protégée par le Roi lui-même ; la pièce a été réécrite en cinq actes et valide une rigueur politique et morale dans laquelle le Roi veut se reconnaître ; d'autant que l'œuvre se termine sur un "rex" ex machina.

Entre temps, en 1665, dix mois seulement après le revers de fortune de la première version du Tartuffe, Molière crée Dom Juan. Les premières répliques de la pièce foncent tête baissée dans le lard des censeurs du Tartuffe. La Compagnie du Saint-Sacrement, pour ne pas les citer, était une secte d'ultra catholiques qui entendaient gouverner par leurs simagrées et leur feinte rigueur morale. Parmi tant d'autres lubies, ils avaient proscrit l'usage du tabac à priser. Celui qui se roule en petites boulettes dans les narines et qui, dès qu'on en prend, « purge les cerveaux humains (et) instruit les âmes à la vertu ». Alors Molière, qui jouait Sganarelle dans Dom Juan, se fend d'un éloge du tabac en guise d'entrée en matière. Provocateur, tout simplement.

Les raisons qui me font adorer cette œuvre sont trop nombreuses pour être énumérées ici. Mais à chaque nouvelle lecture, je reviendrai persister et signer. Le Tartuffe et Dom Juan de Molière, ce sont deux vaccins contre une forme de bêtise encore trop répandue aujourd'hui.


62 pages, coll. Classiques & Cie Hatier - 2,85 €

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