06 juin 2007

Imbroglio negro

Chester HIMES (1909-1984) est aujourd'hui un auteur respecté du polar américain, voire du polar tout court. Daniel Picouly, dans Tête de nègre, a rendu hommage à ses romans.

Né en 1909, Himes est incarcéré entre dix-sept et vingt-six ans pour vol à main armée. A sa libération en 1935 (il aurait dû rester en taule jusqu'en 1946, une bonne date pour sortir de taule... ), il se lance dans l'écriture en autodidacte. Ses premiers romans connaissent un succès réel mais modeste. Comme Richard Wright ou James Baldwin, Chester Himes arrive à Paris, où il s'installe en 1954.

Là, son traducteur français, Marcel Duhamel, lui conseille de se concentrer sur le roman policier. Himes produit alors La Reine des pommes, l'un de ses chefs-d'œuvre, roman dans lequel apparaissent pour la première fois ses deux héros récurrents, "Ed Cercueil" Johnson et "Fossoyeur" Jones.

Ce sont eux qui mènent l'enquête ici, à Harlem. Casper Holmes est un Noir très influent : supérieur de Ed Cercueil et Fossoyeur, enquêteur hors pair, dur à cuire, il force le respect. D'autant qu'il se lance dans la politique, au nom d'un grand parti. Mais allez savoir si le parti en question ne se sert pas simplement de lui pour mettre la main sur ces Noirs de Harlem, et faire ainsi basculer le vote. On n'est pas dans Homme invisible de Ralph Ellison, mais le propos politique est à peu près le même.

Mais attention : Chester Himes, ce n'est pas Didier Daeninckx avant l'heure : Imbroglio negro nous prend d'abord par le rythme de son action, par l'humour, par la dérision et l'absence de sérieux. Ça n'est pas une œuvre sombre, c'est juste un roman Noir.

Himes lance l'action avec deux chapitres de pure perte de repères. Un incident amène un accident, qui conduit à un drame sordide, qui mène à une tuerie froide et cruelle. Le point de vue dans le premier chapitre est celui d'un voleur de pneus qui assiste, hébété, à un accident de la circulation peu commun : une cadillac plaquée or renverse une vieille femme en plein milieu de la voie et, après quelques secondes d'hésitation, prend la fuite. Quelques instants plus tard, la vieille se relève, mais une Buick la renverse à son tour en ayant manifestement l'intention de l'achever.

Jones et Johnson arrivent à la rescousse au troisième chapitre seulement. Nul ne connaît Harlem comme eux, excepté peut-être Casper Holmes. La personnalité des deux personnages est assez brutale, mais ils se distribuent les rôles de façon à ce qu'il y en ait toujours un des deux pour arrêter l'autre avant la bavure... Ainsi Ed Cercueil menant un interrogatoire "frappé" dans un bar bondés d'homos, terminant par tirer quelques coups de feu à travers le plafond... Ainsi Fossoyeur, chaud comme braise à l'issue d'un entretien avec Mme Holmes...

Peu à peu l'étrange nuit se reconstitue, et sa galerie de personnages tous plus étranges, tous plus crédibles les uns que les autres. La cadillac, le parti, les ambitions de Casper Holmes, la "corporation" homosexuelle de Harlem, la "race Noire", tout y passe ! Le roman de Chester Himes est pour le moins coloré, à son image. Son écriture passe du meilleur au moins bon, comme un métissage expérimental qui se tient difficilement en équilibre.

« De son fourneau, où elle fricotait, Mammy Louise leur jeta un regard méfiant. Elle était encore plus grasse mais plus petite que Mister Louise. Elle portait, par-dessus plusieurs épaisseurs de sous-vêtements de laine, une robe de jersey informe ; par-dessus la robe, un vieux peignoir de lainage ; un châle noir sur les épaules, un feutre d'homme au bord relevé sur la tête et aux pieds des bottes fourrées de trappeur.
C'était une Geechy née dans la région marécageuse de Tater Patch, en Caroline du Sud. Les Geechies sont des métis d'esclaves noirs évadés et d'Indiens Séminoles originaires des Carolines et de Floride. Leur langue est un mélange de dialectes africains et de séminole. Et quant Mammy Louise baragouinait l'anglais, on croyait entendre croasser des corneilles. »


Un très bon roman Noir. Un excellent polar.


251 pages, coll. Folio - 6 €

3 commentaires:

Julie Delporte a dit…

En version sonore ?

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Anonyme a dit…

Effectivement, très bon polar. Et très drôle. On se délecte de cet humour que l'on peut retrouver aujourd'hui dans les films de Tarantino : un humour souvent basé sur un enchaînement d'événements, d'abord insignifiants, puis capitaux, puis fatals, puis grotesques. Ou comment faire rire par un excès de violence, à laquelle on n'est plus sensible tellement elle va loin.
Par exemple, cette fameuse course poursuite entre les J&J et le type à vélo, dans les rues de Harlem... Il y a deux façons de réagir : soit on est offusqué, soit on est tordu de rire ....

Il ya aussi "Il pleut des coups durs" , et le gang des "Musulmans fumants", dans lequel la fille d'un des 2 J est mêlée ....