15 octobre 2006

50.000 dollars

Le recueil 50.000 dollars rassemble six nouvelles de Ernest HEMINGWAY, écrites entre 1925 et 1929.

La première d'entre elles, qui donne son nom au recueil, a déjà été présentée ici-même : elle met en scène quatre ou cinq personnages, très "hard-boiled", dans le milieu de la boxe et des paris.

Les deux nouvelles suivantes, "Mon vieux" et "L'invicible", évoquent respectivement les courses de chevaux et la corrida. Elles sont exemplaires elles aussi, ne serait-ce que par leur évocation de Paris pour la première, de l'Espagne pour la seconde.

Les trois dernières nouvelles sortent du thème sportif, pour poser des situations humaines de façon plus large. Hemingway ne met en scène presque que des hommes. Dans "Le village indien", le jeune Nick accompagne son père et son oncle dans un petit village indien, où une femme n'arrive pas à accoucher. Le garçon va voir dans la même nuit la naissance et la mort, de très près. Une nouvelle surprenante qui nous laisse en suspens.

C'est un peu le même principe pour "Les tueurs" : trois personnages travaillant dans un restaurant de bord de route voient débarquer deux étrangers. Ceux-ci, maîtres de leur art, commandent à manger, avalent calmement leur dîner, puis prennent l'établissement en otage. Ils attendent Ole Andreson, le Suédois, pour l'abattre. Là aussi, un jeune garçon prénommé Nick se voit contraint de prendre la tangente par peur d'y laisser sa peau.

Se dégage de ces deux nouvelles l'impression qu'en Amérique, la vie de chaque homme dépend du droit du plus fort.

Mais la pièce maîtresse de ce recueil, à mon avis, c'est "Le champion", une nouvelle en 15 pages. En tant que lecteur, je n'aime pas particulièrement le genre de la nouvelle : je lui préfère généralement le roman, plus complexe, plus développé. Mais Hemingway, ainsi que J.D. Salinger dans un autre univers, accèdent à travers la nouvelle, il faut l'admettre, à une forme de perfection du récit.

Un homme se fait jeter d'un train en marche. Il se relève, esquinté, et se met à marcher à travers les bois, en pleine nuit, maudissant le serre-frein qui l'a cogné. Il aperçoit bientôt une sorte de feu de camp. Un homme à côté du feu : Ad Francis, un ancien boxeur bien connu. Son visage est bien abîmé, il n'a plus qu'une oreille, et de l'autre côté un simple bout de chair. Il invite le vagabond à partager le bout de gras. Bugs, le compère de Ad, surgit du fond de l'obscurité. Ils mangent tranquillement. Ad raconte à notre homme comment sa carrière l'a lâché, comment il lui arrive de devenir fou. L'homme ne le prend pas vraiment au sérieux. Ad se renfrogne... puis il se lève et marche sur l'homme.

Jamais je n'ai vu une ambiance aussi épaisse posée en aussi peu de mots. Hemingway écrit "Le champion" avec un talent absolument incroyable. Quinze petites pages passent, et quelque chose nous est arrivé entre les lignes. La nouvelle contient sans le dire une leçon sur l'Humain, de l'ordre de celles autour desquelles tourne Edward Bond dans ses pièces de théâtre les plus sombres.

Je suis soufflé !


175 pages, coll. Livre de Poche 1958 - 2 €

Aucun commentaire: