18 mai 2008

(BD) Désœuvré

Aux éditions L'Association, la collection "éprouvette" sonne comme un besoin accru d'expérimenter, de mélanger, d'essayer. Désœuvré de Lewis TRONDHEIM est le premier volume de cette collection et il a paru en début d'année 2005.

Trondheim y fait le compte rendu de quelques semaines d'errance consentie. Volant de festivals en dîners, rampant de réceptions en séances de dédicaces, Trondheim vogue et vaque. Il disserte et divague, surtout ; parfois même (souvent ?) il digresse. Son souci ? son tracas ? sa question ?

Est-ce que les dessinateurs vieillissent mal ? Vous remarquerez qu'on est proche d'une question de rhétorique, et Trondheim accumule rapidement les exemples qui prouvent que Oui, les auteurs de BD vieillissent mal... en général.

Je n'accroche pas terriblement au dessin de Trondheim, et les premières pages m'ont rebuté. Pourtant, très vite, je me suis laissé prendre par ce volume qui pose quelques questions pertinentes et les illustre d'une façon assez inventive. Trondheim verse à la fois dans la tentation du réalisme où il s'oublie au profit de l'objet qu'il dessine (ce qui le repose de lui-même, dit-il), et dans la vision onirique où les symboles concernant son rapport au métier sont assez clairs (le nez dans le guidon sur un vélo sans frein... ). Sur le plan de la théorie et de l'abstraction, Désœuvré me plaît assez : il pose de nombreuses questions et n'apporte pas trop facilement des réponses.

Mais Trondheim pêche par l'exemple. Est-ce de la pudeur ? Son personnage autofictif ne critique aucun auteur de sa génération, ni aucun plus jeune que lui. Ce qui lui vaut une remarque de Sfar qui lui dit en substance que plusieurs générations coexistent dans la BD, et que le rapport au métier est nécessairement polymorphe. Est-ce du snobisme ? Trondheim s'en va, carnet à la main, poser sa vaine question à tous les noms reconnus de la BD, histoire de donner du crédit, du poids au résultat. Est-ce de l'ignorance ? Les auteurs de BD cités dans ce volume (ils sont très nombreux), Trondheim le premier, semblent en connaître un rayon sur la biographie de Hergé ou de Franquin, mais ils méconnaissent apparemment les autres champs littéraires, qui procèdent pourtant des même enjeux : enjeux de création, enjeux de renouvellement, enjeux de nécessité. Comment naissent les auteurs ? Le postulat de Trondheim est assez naïf : « (la source d'énergie créatrice) nous vient la plupart du temps d'une adolescence assez solitaire, alors, il fallait bien s'occuper ».

On le voit, la réflexion est d'une profondeur inégale dans ce volume que l'auteur appelle un "essai". Les lecteurs sont brièvement représentés, mais leurs réponses sont systématiquement balayées du revers de la main (ou d'un coup de poing vengeur) par Trondheim. Tandis que la parole des confrères est évangélique, aussi incomplète soit-elle. Lorsque l'investigation pourrait devenir méthodique, Trondheim s'excuse à peine de ne pas être sociologue, et met fin à son désœuvrement en s'asseyant au bureau, paré pour la prochaine BD. Limite malhonnête.

72 pages, éd. L'Association - 12 €

2 commentaires:

Nicolas a dit…

Quelques liens pour récompenser la curiosité de ceux et celles qui lisent les commentaires...

Pour s'affranchir des genres littéraires et des contraintes éditoriales, on n'est jamais si bien servi que par soi-même, la preuve : Lewis Trondheim a fondé L'Association en mai 1990.

Désœuvré(e) ? En mars 2005, la toute jeune et toute belle Miss Gally en parlait déjà. Et sa méchante plante verte aussi, d'ailleurs.

Quant au site web de L'Association, il promet d'ouvrir un jour... peut-être...

En attendant, vous pouvez lire des planches récentes de Lewis Trondheim sur son blog.

Nicolas a dit…

Et au fait, NON, Monsieur Lewis Trondheim, Jack London ne s'est pas suicidé en mer comme son héros Martin Eden : il est mort le 22 novembre 1916 dans son ranch, à 40 ans, d'une "crise d'urémie de type gastro-intestinal".
Ça sonne moins glorieux, mais faut pas pousser l'intox trop loin juste pour les besoins du raisonnement, non plus...