11 mai 2008

1968

Est-ce qu'on peut lire un livre de photos ? Je le pense. Non pas forcément de façon linéaire et continue, comme un roman. Mais par fragments discontinus, par petites touches, au fil des jours. C'est de cette manière, en tout cas, que j'ai entamé en 1997 la lecture de La Photographie du XXè siècle, un superbe pavé édité par Taschen. Je n'ai pas encore tout lu, mais je relis beaucoup ; et plus je relis, plus je relie.

L'image crée du lien encore plus vite que le texte, simplement par promiscuité. Depuis que je me suis remis à la photo argentique, au plaisir de composer lentement et d'ajuster la mise au point, je m'en rends compte de nouveau. Le pouvoir de suggestion de l'image est très fort dans nos sociétés, particulièrement lorsque l'image n'est pas bombardée de textes explicatifs, justificatifs, ou pire : didactique. L'émotion a la part de l'ange.

C'est un peu dans cette optique que paraît 1968 de Raymond DEPARDON. Voici une centaine de pages de papier glacé regroupant plus d'une centaine de photos du reporter, cofondateur de l'agence Gamma. Du beau noir et blanc, et juste assez de texte (pas trop) pour nous présenter le contexte. Une sorte de « best-of », puisque ces quelques photos sont choisies parmi les 835 planches-contact enregistrées au nom de Depardon par le labo de l'agence Gamma pour la seule année 1968...

Les pérégrinations de Depardon ne m'ont pas laissé m'ennuyer, même lorsque j'ai parcouru le livre dans le sens de lecture habituel. En 1968, Depardon passe de Brigitte Bardot à Christian Cabrol, de Mireille Mathieu à Jacques Chirac, de Hervé Vilar à Jean Genet, de Jean-Luc Godard à Johnny Hallyday, de Richard Nixon aux Black Panthers, de Maurice Chevalier à Allen Ginsberg. En 1968, Depardon parvient presque tout à fait à éviter mai 1968 à Paris. Lui qui se dit rural laisse ces photos là à son collègue et ami, Gilles Caron, qui sera assassiné en 1970 par les Khmers rouges. Après coup, n'ayant assisté à rien, il ne saisit pas les proportions de ce "rêve général" à la française. Ecrasé par les événements de l'année 1968 à l'échelle mondiale, le joli mois de mai parisien n'est pour Depardon que synonyme de grande désillusion.

Pour les besoins de la mise en page, les photos prises au format "paysage" sont réduites à la taille de vignettes, quelle faute ! Mais c'est le seul bémol à cette symphonie en noir et blanc. Les allers-retours permanents de Depardon entre la politique et le show-biz n'en sont pas moins éloquents, ni les portraits absolument saisissants. Comment résumer à quelques mots le double portrait de Romain Gary et Jean Seberg ? Les poings gantés de noir des athlètes américains aux J.O. de Mexico ? Les fleurs opposées aux fusils pendant les manifestations contre la guerre au Vietnam ?

Dans ce volume, ici et là, l'image est au-delà du mot.


Env. 100 pages, coll. Points Seuil

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