On the road again
Si vous avez un peu suivi ce blog en fin d'année 2005, vous avez sans doute assisté au goupillage de la faramineuse et perpétuelle Quinzaine "On the Road" ?
Hier, dimanche 12 mars, nous assistions non seulement à la fête de Juturne — à qui je rends ici un vibrant hommage, car elle a frôlé la 2000è visite, et l'incroyable cadeau !! —, mais également à l'anniversaire de Jack "Ti Jean" KEROUAC, né le 12 mars 1922 à Lowell, Massachussets, U.S.A.
Pour l'occasion, je reprends la Route, quatorze ans après... C'est le roman par lequel j'ai découvert Kerouac : j'avais 15 ans... j'en ai 29... Je ne garde que des souvenirs exaltés de cette lecture initiatique. Aurais-je dû à tout prix éviter de replonger, d'aller "vérifier quelque chose" ?...
Mes impressions en temps réel (ou presque) viendront nourrir ce billet... Si je m'en sens capable...
Premières remarques : Cette façon de commencer et de raconter l'histoire, dans les premières pages, ne m'étonne pas : peut-être parce que je les ai lues et relues plus d'une fois au fil des ans. Par contre, je réalise que je ne me souvenais pas de Dean Moriarty. Du nom, oui, bien-sûr, c'est difficile d'oublier le personnage central de Sur la route. Mais pas de certaines choses que le narrateur nous dit très vite à son sujet. Exemple frappant : le fait que Dean, à sa sortie de taule, emprunte un langage pseudo-intellectuel auquel personne — et surtout pas lui — ne comprend rien. Je ne me souvenais pas d'éléments comme celui-ci, qui diminuent le personnage solaire qu'est Dean... Comme quoi, c'est con, les souvenirs : Dean est beaucoup plus intéressant s'il n'est pas "que" idéalisé...
Chapitres suivants : Sal entreprend d'aller rejoindre Dean et Carlo à Denver, qui devient dès lors objet de tous les fantasmes. Mais, comme il le dira plus tard, c'est le trajet sur la route qui importe. En effet, une fois à Denver, il n'arrive pas à voir Dean plus de deux heures en une semaine. Car celui-ci est toujours en train de gérer ses combines et ses amours, selon le mythique "emploi du temps de Dean" que subit également Carlo.
Sal connaît donc, entre chez sa tante et Denver, une première expérience réelle de ce qu'est la Route. Et à ce titre, il n'est pas innocent qu'il rencontre toutes les peines du monde à commencer par quitter la ville pour rejoindre le bon crossroad, celui où s'arrêtera le car qui pourra l'amener plus loin. Quitter cette ville, trouver le bon coin, essuyer avec philosophie les intempéries... et voilà déjà notre héros qui fait du sur-place, si ce n'est carrément machine arrière. Kerouac, metteur en scène de son propre ridicule, tout comme il faisait passer Dean pour un décervelé dans les premières pages. Comme quoi, la lecture faite de Sur la route par les Beatniks est véritablement un contre-sens : "tous sur la route", "virile attitude", etc.
Après ce faux départ, qui rappelle les gesticulations de Mercier et Camier, de Molloy, d'Estragon, de Vladimir, de Murphy, Sal finit par opter pour les cars Greyhound, puis pour le stop. Sur la route, il croise toute une gallerie de personnages qui représentent à eux seuls le melting-pot de l'Amérique et de ses états, aux sensibilités si différentes les unes des autres. Il dira plus tard à Dean et Carlo qu'il a vécu dans ces quelques jours de quoi passer toute une vie à écrire. « (…) il se passe à chaque instant plus de choses que n’en pourrait contenir un gros livre, deux gros livres, le tien et le mien. C’est sans doute à cette exubérance que l’on doit la bienfaisante sensation qu’il n’y a rien, rien à faire, rien à dire. » (Samuel Beckett, Mercier et Camier, 1946/1970).
Par essence, le voyage est une perte d'identité ET une quête d'identité, particulièrement dans le cas où l'identité est liée à une terre, à des possessions. C'est une fuite de soi vers soi, des autres trop connus vers l'Autre Inconnu. « Nous obtenons à peu près tout, sauf ce que nous souhaitons en secret. Sans doute est-il juste que ce à quoi nous tenons le plus soit inatteignable, que l’essentiel de nous-mêmes et de notre parcours demeure caché et irréalisé. La Providence a bien fait les choses : que chacun tire profit et orgueil du prestige lié aux débâcles intimes. » « Dès que j’oublie que j’ai un corps, je crois à la liberté. » (op. cit.)
Chez Kerouac comme chez Beckett, ces deux écrivains de langue anglo-saxonne mêlée de culture et de langue française, il y a vision de l'homme à travers ses déambulations, fussent-elles (et elles le sont souvent) des échecs : « Chaque fois que je vois un clochard ivre, sale, halluciné, puant, affalé avec sa bouteille sur le bord du trottoir, je songe à l’homme de demain s’essayant à sa fin et y parvenant. » (op. cit.)
A suivre...
Aller à la Quinzaine "On the Road"
Du même auteur : Tristessa, Come rain or come shine (Audio)
6 commentaires:
Ouaiiis !
Chouette, voilà un débat qui s'annonce intéressant. Je l'ai lu cet été, donc mes souvenirs sont encore relativement frais. On va pouvoir en parler, du clochard céleste.
Quel vibrant hommage en effet !
Pour me consoler du plantage informatique qui m'a empêché de franchir la ligne d'arrivée la première (périphrase pour dire que j'ai perdu, quoi), j'ai relu Kerouac lundi soir. Forcément, quand est déjà en manque de sommeil, ça n'aide pas pour les cours, mais bon...Et puis flûte, moi, Kerouac,ça me parle plus la nuit !
Je devais aussi avoir 15 ans quand j'ai lu On the road : même impression d'exaltation. Avec du recul, je crois que cette impression est restée intacte. Ou plutôt non (vive la cohérence), je dirais qu'elle a évolué en même temps que moi (là, je réponds très grossièrement aux personnes qui lèveraient des doutes sur mon évolution...).
J'ai le sentiment que ce que je viens de raconter est incompréhensible !
A part ça, moi ça va, sauf que j'ai eu la bonne idée de traverser le regroupement de CRS hier (version Barbie manifestante chez les Action Man matraqués)au moment où ils lâchaient les lacrymos. Mais mon intégrité physique est intacte...
PS : sympas les chaussures !
Tanguy, on attend toujours que ta joie prenne corps à travers un commentaire, quel qu'il soit...
:)
Je me dois ici même de rendre un vibrant hommage à Jack Kerouac : pour résumer, la lecture de son Sur le route, qui remonte maintenant à 3 ans environ, m'a sauvée d'un monumentable carton coefficient 9 dans un cours de littérature américaine, pour lequel il m'a fallu faire un exposé sur Histoire de réussir de Russell Banks, en une nuit...
Mais grâce à Jack (on est devnus intimes), j'ai pu blablater un peu :) :
Russell Banks a 17 ans lorsque parait le désormais mythique roman de Jack Kerouac, Sur la route (1957). La lecture de ce texte boulverse profondément l’auteur : à l’image de son modèle, il entreprend de parcourir l’Amérique au volant d’une voiture volée. L’oeuvre de Kerouac est fondatrice pour la littérature américaine, puisqu’elle est à l’origine de la mise en place de l’imaginaire nomade, cher à la culture du pays. Sur la route se réapproprie le mythe fondateur de la conquête américaine, initialement fondé sur la conquête de l’ouest et la fameuse ruée vers l’or de la fin du XIXème siècle. Mais le roman de Kerouac est bien différent dans la mesure où la quête n’a plus de but précis. Le paradoxe est tel que l’errance devient un but en soi. Il est important de noter que dans le roman, le personnage principal, Sal Paradise (incarnation explicite de Jack Kerouac), part sur la route, influencé par un second personnage, Dean Moriarty, pour lequel il voue une profonde admiration. Kerouac l’écrit de manière explicite dans les premières lignes de son roman : “Avec l’arrivée de Dean Moriarty commença le chapitre de ma vie qu’on pourrait baptiser “ma vie sur la route””. Il en va de même pour Russell Banks qui prend exemple sur Kerouac lorsqu’il se lance dans sa quête de l’Amérique. Cette quête erratique est du coup constamment dédoublée dans une sorte de mise en abyme. Pour Banks, la route comme chez Kerouac, est une allégorie d’un personnage en errance, celle-ci devenant la vision de l’homme à travers ses déambulations. Il n’est alors pas étonnant que Earl, personnage principal du livre de Banks, essaye de reproduire ce modèle, devenu quasiment un lieu commun de la culture américaine.
Ça c'est de l'expertise littéraire façon Rennes II !
Rennes II, c'est magique comme fac : on nous apprend à pondre des trucs pompeux, sur des oeuvres que l'on a souvent pas lues, en un minimum de temps...
Mais en fait, on nous enseigne l'art d'enseigner, nan ? :p
Enregistrer un commentaire