22 novembre 2006

Dans le train, épisode 5

Philippe GRIMBERT a obtenu en 2004 le prix Goncourt des Lycéens. Je ne sais pas si vous vous faites la même réflexion, mais j’ai le sentiment (pas forcément étayé par une lecture très assidue des ouvrages concernés, mais qu’importe) que le prix Goncourt des lycéens est une disctinction plus fiable que son aînée, le prix Goncourt-tout-court, sur le plan strictement littéraire.

Je m’explique, tout cru : tout le monde le dit, l’Académie Goncourt est essentiellement constituée de vieux môssieurs z’et de vieilles madâmes pour qui les plaisirs littéraires disponibles aujourd’hui au rayon des nouveautés équivalent à leur âge, au mieux, au frisson d’une improbable partie de jambes en l’air. D’où l’excitation irrationnelle d’un Nourissier sur Houellebecq l’an dernier : il avait promis de planter ses camarades à leur déjeuner rituel du mardi chez Rouand si Houellebecq n’était pas canonisé ; Houellebecq ne le fut pas, mais lui tient toujours sur son socle.

Tout le monde le dit, donc. Mais ce n’est pas vrai, bien-sûr.

Tout le monde le dit, les membres de l’Académie Goncourt, qui publient tous leurs petites oeuvres chez les principaux éditeurs de l’hexagone, sont remplis à ras-bords de conflits d’intérêts lorsqu’ils élisent tel ou tel roman. « Cette année, c’est Gallimard qui obtient le Goncourt ». Ah bon, parce qu’il écrit, Gallimard ?

Tout le monde le dit, donc. Mais ce n’est pas vrai, bien-sûr.

« Non non, se défendent-ils en substance, c’est pas vrai, d’abord (je traduis à ma façon), parce que Gallimard ne l’a obtenu que quatre fois en dix ans. » Que.

Bref, les lycéens, après avoir tout de même reçu une présélection de leurs patriarches, ne se retrouvent pas, eux, pieds et poings liés dans des calculs de grand-mère-qui-double-tout-le-monde-au-rayon-boucherie-de-chez-Leclerc. Y a pas de gruge dans les goûts et les dégoûts des lecteurs que sont les lycéens. Leurs goûts sont plus spontanés. Ils ne pardonnent pas l’ennui, les lycéens. Ils n’enculent pas les mouches.

Pour en venir à Un secret de Philippe Grimbert, consacré par ce prix littéraire qui vaut donc quelque chose (si vous avez suivi les lignes choquantes qui précèdent, vous aurez compris qu’un prix littéraire de valeur est un phénomène rare, qui méritait d’être mis en relief), je ne peux pas vous le raconter, puisque c’est un secret. Un secret de famille. Un frère caché. Une histoire de famille qui se confond avec l’Histoire des juifs français.

L’auteur maîtrise parfaitement son récit. Il en garde en permanence sous le pied. A partir de la page 70, vous êtes obligés de lire le reste d’une traite. Tout en retenue, Grimbert vous rend accroc à la révélation, addict au tragique. Parfois, on peut se dire qu’il va trop loin. Je me vois ce matin dans le train à lui dire : « Non, ça, mon petit Philou, tu n’as pas le droit »...

Mais il vous tient. Il vous en donne juste suffisamment pour vous tenir en haleine sur des chapitres courts, et puis balance la dernière phrase en quatre mots assassins, qui vous mettent une baffe en travers de la gueule.

Par deux fois, dans les vingt dernières pages, j’ai ravalé un sanglot qui montait d’un coup, pour ne pas éclater comme une cocotte-minute dans une voiture convenable de la Société Nationale des Chemins Ferreux. Et pourtant, comme lecteur, je ne suis pas un jeune tendre.

Donc et par conséquent, méfiez-vous de — autrement dit “jetez-vous sur” — Un secret de Philippe Grimbert.


185 pages, coll. Livre de Poche - 5,50 €

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Dis, tu me le prêtes ?
Je viens justement de réapprovisonner mon stock de mouchoirs en papier....