"En Mer"
Guy de MAUPASSANT (1850-1893) est célèbre pour ses contes, en particulier pour les contes fantastiques tels Le Horla que nous avons tous lu (sauf moi, jamais). Je l'avoue pour ma part : je préfère Maupassant romancier que conteur.
Pourtant, la lecture récente de "En Mer", tiré des Contes de la Bécasse (1883), m'a de nouveau interpellé.
Est-ce un conte, est-ce une nouvelle ?
En posant cette question générique (qui vise à définir un genre) à des élèves de Seconde, leurs réponses se concentrent sur les traits qui permettent de différencier la nouvelle du roman, et non du conte : simplicité de l'intrigue, nombre de personnages... La nouvelle se termine par une chute surprenante et parfois inquiétante, le conte par une fin heureuse : « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. »
Clichés qui perdurent...
On me dit aussi que la nouvelle est souvent tirée d'un fait divers. Or c'est bien le cas de "En Mer"... mais "En Mer" est un conte !
Pourquoi ? Je vais vous le dire (en attendant, admirez ma syntaxe toute présidentielle).
D'abord, c'est un conte parce que Maupassant l'intitule comme cela. Ensuite, parce que le narrateur nous sert d'intermédiaire : il n'a pas vu/vécu l'intrigue, elle ne le concerne même pas particulièrement, mais il l'a entendue/lue avant nous et, parce qu'il sait le faire, il endosse pour nous son costume de conteur. Car conter est un jeu de rôle. Le conteur se joue de la narration : il raconte. Alors que le narrateur d'une nouvelle est l'auteur même de l'intrigue.
Est-ce du fantastique ?
Cela dépend de ce que l'on entend par fantastique. S'il s'agit de suivre bêtement la recette fantastique, dont les ingrédients pêle-mêle sont une nuit obscure, la pleine lune, un cadavre encore chaud, quelques litres de sang, un cri de femme au lointain, des créatures cruelles... alors NON, "En Mer" n'est franchement pas un conte fantastique.
Pourtant, en posant la question plus subtilement, si l'on considère que le fantastique surgit là où l'on franchit une frontière... alors "En Mer" se déroule entre terre et mer, entre les rivages de France et ceux d'Angleterre, entre deux frères qui partagent un même nom sans jamais qu'on nous donne leurs prénoms respectifs... Au moment où surgit l'événement central de ce conte, il n'y a pas de cassure apparente dans l'ordinaire. Mais les éléments naturels, étrangement, se manifestent tout autrement.
Il se dégage, en bref, une atmosphère d'inquiétante étrangeté.
Maupassant, "En Mer", in Contes de la Bécasse (env. 6 pages)
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