15 mars 2007

La Ferme des animaux

Il y a plein de littérature autour de nous. Emportés dans une campagne présidentielle soumise plus que jamais à la logique du discours médiatique (et non politique), nous apprenons à nous méfier des mots, à ne pas les croire, à relever leur double sens. Les mots des politiques et des médias, périphrases absconses ou formules choc, font naître une réalité fictive. Et nous nous soumettons, corps social léthargique, à cette possibilité qu’ont les mots de nous caractériser, de nous envelopper, de nous figer comme dans un instantané menteur, retouché sur Photoshopping.

Parmi toutes les œuvres du monde, dont vous avez compris qu’il s’agit ici d’épuiser définitivement toutes les ressources (hum, hum), il n’est pas de roman comparable au 1984 de George ORWELL pour mettre à plat le pliage complexe de nos sociétés politiquo-médiatiquo-paranoïdes. Big Brother, cette figure du dictateur omniprésent, qui impose sa tyrannie soporifique grâce au télécran et à la novlangue, connaît même un succès dévoyé dans nos européennes contrées, puisqu’il donne son nom à la toute première des émissions de « télé-réalité » qui nous fut donnée à voir, comme on refilerait une perfusion d’opium aux cochons.

Mais avant de composer 1984 et de mourir au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Orwell avait déjà écrit un texte plus court qui, tout en proposant une fable animalière divertissante, servait à montrer et à dénoncer l’instauration et le fonctionnement des dictatures. Je veux parler, bien entendu, de Animal Farm, La Ferme des animaux en bon françooooâââs.

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais contrairement à ce qui se passe quand on ne sait plus trop quel sens donner à la démocratie, on ne s’est jamais demandé si la dictature, l’autre choix disponible, pouvait être participative ou non. Tout avènement d’un régime totalitaire est éminemment participatif, en fait. Et c’est bien ce que montre le destin hautement allégorique de Napoléon le cochon.

Dans une ferme banale de la campagne anglaise, les animaux vivent sous le règne de Mr & Ms Jones, les fermiers. Ne dites pas : « Oh ! ça ressemble à un film avec Will Smith », mais dites : « c’est bien normal que l’espèce humaine dirige les autres espèces et les exploite à ses fins personnelles ». Seulement voilà, ce règne ne paraît pas naturel à tout le monde. Sage l’Ancien, l’ancêtre respecté de la ferme, qui a la queue en tire-bouchon, est sur le point de casser sa pipe. Un soir à la ferme, dans l’étable, il monte sur l’estrade et s’adresse à l’assemblée animale pour raconter son rêve et léguer son message révolutionnaire. De ce fait, il devient la tête pensante, le père fondateur d’une révolution animale qui va réellement se produire. Lui ne la verra pas advenir : ce sont ses copains de bac à boue Snowball et Napoléon qui vont après sa mort définir les règles de vie de l’Animalisme, et provoquer le Soulèvement des animaux à la Saint-Jean d’été.

Une fois les humains boutés hors de l’enclos, la Ferme du Manoir est rebaptisée Ferme des Animaux. On assiste à l’époque glorieuse du mini-Etat. Mais très vite cette exception politique s’enclave, se coupe des autres fermes, prône même l’isolement et refuse tout commerce avec les hommes, forcément de mauvaise volonté. Après avoir établi et inscrit dans l’Etable les Sept Commandements de l’Animalisme, doctrine philosophique qui fonde le régime politique de la ferme, subrepticement les animaux reconstituent une hiérarchie. Les cochons s’improvisent têtes pensantes du régime, entourés des chiens qui constituent leur milice (d’abord de propagande, ensuite de répression). Les chevaux sont bonnes poires, à l’image de Malabar, un molosse « qui n’était pas génial », de Douce ou de Lubie. Les moutons suivent comme des moutons. Les poules sont bêtes, et l’oiseau de bonne augure, un corbeau qui croasse, a vite fait de se faire la malle, perçant les nuages à la recherche de la Mythique Montagne de SucreCandi.

Snowball a de grands plans de progrès social pour l’espèce animale, mais c’est Napoléon le despote qui s’imposera à tous par la force, et par la manipulation des esprits et des mémoires. Jusqu’à ce qu’on ne fasse plus trop la différence entre l’espèce porcine et l’espèce humaine.

Finalement, on a trop vite fait de considérer que Orwell rejette le Communisme à travers cette fable animale et politique. Ce qu’il vomit littéralement, c’est le despotisme des castes et l’asservissement des individus. On gagne bien sûr à faire du Communisme la bête noire de La Ferme, mais la faute est en réalité dans la soif de pouvoir et la tentation de dominer, inhérentes à l’homme.

Bon allez, j’ai suffisamment parlé, hop !


150 pages, coll. Folio – 3,50 €

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Ecrire un livre culte comme "1984" dans une carrière, c'est déjà grandiose, mais en écrire 2, cela revient au génie. "La ferme des animaux" est un roman (fable animalière politique et sociale), bien que lu des années auparavant, qui reste toujours dans mon esprit. Alors que nous sommes en pleine campagne électorale où l'on nous promets tout et rien à la fois, il serait de bon aloi que je me replonge dans cette lecture.
Merci de m'y avoir fait repenser. Cela reste un de mes grands livres que tout le monde devrait lire et relire !

Anonyme a dit…

Ecrire un livre culte comme "1984" dans une carrière, c'est déjà grandiose, mais en écrire 2, cela revient au génie. "La ferme des animaux" est un roman (fable animalière politique et sociale), bien que lu des années auparavant, reste toujours dans mon esprit. Alors que nous sommes en pleine campagne électorale où l'on nous promets tous et rien à la fois, il serait de bon aloi que je me replonge dans cette lecture.
Merci de m'y avoir fait repenser. Cela reste un de mes grands livres que tout le monde devrait lire et relire !

Nicolas a dit…

C'est pourquoi je ne me suis pas privé de faire étudier cette œuvre à mes élèves de Seconde, alors qu'on est en plein battage médiatique présidentiel... ;)

Loïc Bastard a dit…

Bonjour, je suis arrivé sur ce bolg par l'intermédiaire de celui de Tanguy (Sea Sex and Rock and Roll). J'ai Decouvers Georges Orwel avec 1984, grandiose, La ferme des animaux m'a beaucoup plus aussi mais le livre qui ma le plus marqué reste Hommage à la catalogne ecrit pendant la guerre contre Franco. Il a participé à cette guerre et était du coté des rebelles et indépendentistes catalans. Pour moi ça fait trois livres cultes...

Nicolas a dit…

Salut Loïc et Bienvenue sur le BàL !

C'est pas grave que tu viennes de chez Tanguy : ça peut arriver à des gens bien. ;)

Mais... je crois qu'on se connaît, par contre, me trompe-je ? Un anniversaire à Cast, un 1er janvier sur la plage de Pentrez... ?

:)

Anonyme a dit…

Hasard du calendrier : la Compagnie Peter Pan de Maisons-Laffitte présente une adaptation de la Ferme des Animaux le samedi 5 mai 2007 à 17h à la Salle Malesherbes de Maisons-Laffitte (78). C'est la veille du deuxième tour de la Présidentielle. Tous les animaux sont égaux ... mais certains sont plus égaux que d'autres ! De quoi faire réfléchir au moment de glisser le bulletin de vote dans l'urne ...
Si vous voulez réserver une place, allez voir sur le site Internet de la Compagnie (mots clés sur Google : La ferme des animaux + peter pan)
Pour la petite histoire, ils seront 50 gamins à jouer cette incroyable histoire ... dont un certain Akhenaton qui joue le Président des cochons et Roger Mové qui s'amuse à faucher le maïs transgénique des voisins ...

Nicolas a dit…

C'est une authentique Ferme des Célébrités alors ?
;)