14 janvier 2007

Le Tartuffe

Eh oui, les classiques sont en minorité sur ce blog, mais il ne faut jamais dire jamais !

MOLIERE (1622-1673) a écrit Le Tartuffe en trois temps : en 1664, c'est une comédie de moeurs, en trois actes, qui se termine sur la victoire de l'hypocrite. La monarchie est double à cette époque en France : Louis XIV tente de régner seul, mais n'y parvient pas. La "vieille cour" s'oppose à ses moeurs modernes et débridées, à ses réceptions fastueuses, à ses infidélités notoires. Dès la première représentation de la nouvelle pièce de Molière, pourtant protégé du Roi et de son frère, des groupes religieux influents, parmi lesquels la fameuse "Compagnie du Saint-Sacrement", font sauter la pièce, jugée trop incorrecte parce qu'on peut y reconnaître trop de gens de la cour.
En 1667, Molière tente à nouveau de faire passer son œuvre au public. Il l'a remodelée en 5 actes, le format qui convient le mieux aux tragédies ainsi qu'aux "comédies sérieuses", celles qui traitent de questions morales, religieuses ou politiques. Tartuffe est devenu un gentilhomme, il a quitté ses habits de religieux. Ça n'est plus Tartuffe, ou l'hypocrite, mais Panulphe, ou l'imposteur. Mais ces changements ne suffisent pas. La cour n'est pas encore prête.
En 1669, enfin, Louis XIV est vraiment seul maître à bord. Molière peut reprendre une dernière fois sa pièce, y apportant peu de changements, appuyant peut-être un peu plus lourdement l'hommage final rendu au Prince justicier. La pièce est donnée au public, et connaît immédiatement un succès depuis lors jamais démenti.

Cette comédie sérieuse, composée en alexandrins, est aujourd'hui un peu intimidante à lire ou à voir. La syntaxe fait parfois écran, le lexique est plus riche et plus précieux que celui de Dom Juan, composé en 1665 en prose. Il faut dire aussi que le sujet principal de Dom Juan est la tromperie amoureuse. C'est la tromperie la plus simple qui soit, elle n'est pas aussi élaborée que les plans compliqués que Tartuffe met en œuvre pour arriver à ses fins, et passer du statut de gueux à celui de propriétaire bourgeois.

La composition de la pièce est plutôt simple, même si elle peut paraître déroutante vis-à-vis des normes qui présidaient à la composition des pièces à l'âge du Classicisme. En effet, on ne sait jamais vraiment quel est le sujet principal de cette pièce, hormis le fait que toutes les intrigues passent par le personnage de Monsieur Tartuffe. Dans l'ordre, donc :
- l'acte I expose la situation. La famille d'Orgon est en pleine discorde à cause d'un personnage qu'Orgon et sa prude mère, Madame Pernelle, ont accueilli chez eux et semblent préparés à défendre envers et contre tous. Elmire, la femme d'Orgon, tente de le raisonner, mais rien n'y fait. Cléante, le frère d'Elmire, malgré un sens subtil de l'argumentation, n'y parvient pas mieux. Dorine, la servante, libère toute l'ironie dont Molière est capable... mais son rang ne lui donne aucune influence. A la fin de l'acte, Mariane, fille d'Orgon, a tout lieu de s'inquiéter au sujet de son amant Valère, parce qu'Orgon semble avoir changé d'idée sur leur mariage...
- l'acte II sert avant tout à introduire Tartuffe en scène. On nous en parle depuis un acte, on voit le résultat de sa présence chez Orgon, mais on le l'avait pas vu de tout le premier acte. Même phénomène, moins accentué, dans Dom Juan : l'arrivée du personnage éponyme marque le passage à l'acte I scène 2, après une scène d'exposition entièrement menée... par deux valets !
- dans l'acte III, Tartuffe commet la faute qui le perdra en tentant de séduire Elmire. Damis, fils d'Elmire et frère de Mariane, est là qui assiste à la scène. Fougueux, et en voulant à Tartuffe parce que l'annulation du mariage entre Mariane et Valère n'augure rien de bon pour le sien, Damis décide de dénoncer sans plus attendre l'imposteur à son beau-père Orgon. Mais celui-ci n'y croit rien, et c'est Damis qu'il met dehors. Renforcé dans sa foi en l'imposteur, Orgon précipite son mariage avec sa fille Mariane, et réécrit son testament, léguant immédiatement ses biens et son logis à Monsieur Tartuffe.
- l'acte IV est celui de la révélation pour Orgon. Elmire met en place un stratagème pour qu'Orgon prenne conscience par ses propres yeux de l'imposture du Tartuffe. Elle met ses charmes en avant, et son mari sous la table, pendant que Tartuffe avance et pelote. Orgon finit par sortir de sa cachette, outré. Il va pour mettre Tartuffe dehors, mais celui-ci lui promet la réciproque : par les promesses écrites de l'acte précédent, n'est-il pas en effet chez lui de bon droit ?
- l'acte V est entièrement consacré à tenter de résoudre un problème qui ne peut être résolu. La situation empire même pour Orgon lorsque Valère vient lui annoncer que Tartuffe est parvenu à lui envoyer l'huissier, qui ne saurait tarder à faire appliquer le contrat de cession. Mais à la toute fin, par un deus ex machina unique en son genre, le Roi envoie l'exempt rétablir l'ordre en son royaume, emprisonner Tartuffe et restituer par son ordre son rang et ses biens à Orgon.

Comme on l'aperçoit à travers ce résumé, Le Tartuffe est en fait une succession de plusieurs types de pièces, ayant chacune leur propre intrigue. L'acte I est une comédie de mœurs traditionnelle, où l'on voit une famille déchirée par l'opinion différente que les uns et les autres portent à un personnage étranger et nouvellement arrivé. L'acte II est le prototype même de la comédie amoureuse, où un couple de jeunes amants est contrarié par les lubies de l'un des parents dans son projet de mariage. L'acte III pourrait être totalement trivial, si Tartuffe n'était pas un personnage "pieux" : Orgon le mari a introduit auprès de sa femme celui qui va le rendre cocu, et s'obstine jusqu'à lui servir quasiment sa femme sur un plateau (de théâtre). L'acte IV en ce sens est une inversion du genre trivial, puisque Dorine cache son mari (et non son amant) sous la table pour se laisser peloter un peu. L'acte V, enfin, dénouement bâtard, ayant quelques longueurs et une chute improbable, est tout entier consacré au sacre du Prince justicier. Il donne à la pièce une fonction bien précise, alors que justement Molière semble s'y être dispersé tout du long.

Il faut noter à quel point cette pièce, malgré la langue, malgré l'alexandrin, est vivante et emportée. Les répliques de Dorine sont un vrai bonheur d'insolence, certaines scènes régalent les esprits les plus polissons (« Cachez ce sein que je ne saurais voir »... ), et les derniers vers insistent sur le bonheur enfin promis aux jeunes amoureux. Que demander de plus ?

En 1665, avant que Le Tartuffe ne soit réhabilité aux yeux de la cour, Dom Juan commençait par une tirade de Sganarelle sur les plaisirs du tabac. Façon pour Molière de rentrer dans le lard de la "Compagnie du Saint-Sacrement" responsable de la censure du Tartuffe. En effet, ces gens douteux, outre qu'ils avaient reconnu toute la vieille cour dans le portrait de l'hypocrite dressé par Molière, proscrivaient l'usage du tabac, qui selon eux était une initiation au vice.

Victoire de l'œuvre intelligente sur la connerie humaine, en quelque sorte... Rien que pour ça, lisez ou relisez Le Tartuffe de Molière ou, mieux encore, allez le voir sur scène.


216 pages, coll. Classiques & Cie Hatier - 3 €

1 commentaire:

Nicolas a dit…

Je me suis fait quelques frayeurs à étudier la pièce avec une classe de Seconde au profil pas franchement "littéraire"... mais vous savez quoi ? Je crois que Molière, ça marche, tout simplement !
:)