(BD) Kiki de Montparnasse
C'est une B.D. publiée dans la collection Casterman écritures par CATEL & BOCQUET et ça raconte la vie et éventuellement les œuvres d'une des muses du Surréalisme.
Kiki naît Alice Prin en 1901 à Châtillon-sur-Seine. Elle n'est pas reconnue par son père, qui était probablement un fils de... famille respectable. Sa mère la laisse à la garde de sa grand-mère et part à Paris pour devenir linotypiste. Elle vit une enfance chahuteuse et débridée sous les yeux d'une aïeule libérale. Puis elle monte à son tour à Paris ; sa mère souhaite qu'elle y complète son instruction et — pourquoi pas — qu'elle devienne linotypiste à son tour.
Mais pour vivre et payer son école, Alice doit aussi travailler. Or ses premiers essais ne sont pas concluants : trop insolente, elle ne supporte pas longtemps ses patrons. Alors pour ne pas avouer à sa mère qu'elle vient de se faire virer d'une boulangerie, Alice accepte la proposition d'un vieil homme et se rend chez lui pour... poser nue, en tout bien tout honneur. Mais la mère d'Alice débarque en furie chez le sculpteur amateur, dénoncé par son voisinage comme un vieux dégueulasse. Alice erre, sans toit ni rien dans l'estomac, et finit par se prostituer. Merci maman, merci papa.
Avec une amie qui partage son sort, elle court les auditions pour les revues et autres spectacles. Mais c'est la misère. Si bien qu'un soir d'hiver où il fait froid, les deux jeunes femmes vont s'offrir à un jeune artiste sans le sou en échange de son toit pour la nuit. Et le jeune artiste en question, c'est Chaïm Soutine, le tourmenté. Et dans son entourage, il y a Amedeo Modigliani, Moïse Kisling, Fujita Tsuguharu, puis Henri-Pierre Roché, Tristan Tzara, Pablo Picasso, Robert Desnos, Jean Cocteau... et tant d'autres mais surtout, surtout, le photographe d'origine américaine Man Ray.
Alice, rebaptisée Aliki puis Kiki par l'autre "Kiki" de Montparnasse, Moïse Kisling, va successivement poser pour tous ces jeunes artistes à qui l'art moderne doit beaucoup d'œuvres majeures dans les années 20 et 30. Elle devient une véritable muse pour Man Ray, qui l'immortalise dans les photos en noir et blanc qui représentent encore aujourd'hui le mouvement Surréaliste.
La vie de Kiki est dès lors un parcours artistique, dont elle n'est pas simplement un outil voire une inspiratrice, mais véritablement l'une des actrices majeures. Car c'est autant sinon plus le caractère de Kiki que son corps, que les peintres, sculpteurs et photographe(s) saisissent au passage. On dit de ce genre de personnes qu'elle sont un roman à elles seules ; ici, Kiki incarne mieux que personne tout une époque artistique.
Cette B.D. se lit très bien et les auteurs ont indéniablement mis la main sur une personnalité qui mérite ce bel hommage. Le dessin, en noir et blanc, est agréable et efficace. Les visages espiègles et la peinture d'une société sans merci rappelleront Marjane Satrapi et son Persepolis. CATEL & BOCQUET ont un peu plus de mal à prendre leur distance avec certains artistes de l'époque lorsqu'ils les représentent : chaque portrait de Cocteau, par exemple, ressemble à une photo posée de trois quart, avec permanente et regard mystérieux de circonstance. Je ne parle même pas de Picasso. Man Ray, par contre, très présent dans la vie de Kiki et par conséquent dans ce volume, est un peu plus "quotidien" et un peu moins "demi-dieu" que Desnos ou Modigliani...
Les références des auteurs sont nombreuses, comme ils ont tenu à nous le faire savoir par une bibliographie serrée de trois pages en fin de volume. Le choix des titres, lorsqu'on s'y penche, paraît plus aléatoire que réfléchi, mais bon. On lira/verra aussi des clins d'œil appuyés au cinéma, avec par exemple un copier-coller de Cabaret et de la fameuse chorégraphie assise de Liza Minelli. Les auteurs m'ont sérieusement intrigué en situant Les Dix commandements de Cecil B. Demille en 1923... alors que les acteurs principaux, souvenez-vous en, sont Charlton Heston (né en 1923) en Moïse et Yul Brynner (1915-1985) en Pharaon. Bref, le film en question, un monument du peplum hollywoodien, date de 1952, donc Kiki de Montparnasse n'a pas pu passer des auditions pour y figurer en 1923... sauf si Cecil B. Demille a fait deux films avec le même titre, le premier étant un muet de 1923. Il fallait le savoir, et merci Wikipedia pour la confirmation.
Je ne trahirai pas l'intérêt que vous trouverez à lire cette B.D. en vous disant comment se termine le parcours de Kiki de Montparnasse. Si comme moi vous trouvez l'entrée en matière un peu lente, les détails sur l'enfance franchement inintéressants, vous regretterez simplement que Catel & Bocquet passent un coup de gomme de plusieurs années sur l'époque où Kiki redevient une passante anonyme de Paris.
Quoi qu'il en soit voilà un livre qui se lit d'une traite, et un personnage que je suis heureux d'avoir découvert.
374 pages, coll. Casterman écritures - offert
12 commentaires:
J'ai hâte de lire ça.
Tu es servie...
merci ! Je la lirai à mon retour. Pour l'instant, je suis dans la BD anglophone. On m'a prêté Fun home (alison bechdel) et Dogs and water, de Nisler chez drawn and Quartely.
AAAAAHH, Drawn & Quartely... ...
Des Montréalais, tu le savais ça ?
Dis donc, c'est ton quart d'heure de "préférence nationale", là ?
Bah, je reste française quand même. Mais un bout de mon coeur est au Québec. Au fait, je pense rentrer en Europe en décembre. Pour aller voyager ailleurs. J'ai trop traîné ici !
ça y est, c'est lu. D'ailleurs, sans vouloir être bégueule, tu t'es trompé mon cher : c'est Maurice Mendjisky qui surnomme le premier Alice "Kiki".
Ah bon ben merci de la précision. L'erreur est humaine, même pour un bloggueur aussi talentueux que moi... :)
Bonjour à vous.
Je viens de finir cette excellente bd sur kiki. Quelle femme et d'une beauté !!Personne vraiment attachante. LE hasard m'a mené sur votre blog et surprise des nantais !!! A propos de bd québecoise, ya aussi julie Doucet (journal de N.Y) par exemple. J'ai bcp aimé. VOila. Bonnes fetes de fin d'année à vous. Je travaille le soir de noêl mais plutôt sympa. Ciao.
Au plaisir de te rencontrer de nouveau au fil de ces quelques pages... :)
J'ai beaucoup aimé cette BD, et j'ai découvert kiki par la même occasion. j'en ai profité pour voir le film de Man Ray, impressionnant! tous les effets de montages sont repris dans nos logiciels de montage vidéo numérique!
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