05 avril 2011

Ardoise


Je viens de terminer ma lecture d'Ardoise. Philippe DJIAN y rend hommage aux auteurs qui ont bouleversé sa vie et son œuvre. La plupart sont américains : J.D. Salinger, J. Kerouac, H. Melville, H. Miller, W. Faulkner, E. Hemingway, R. Brautigan, R. Carver. Y figurent aussi L.-F. Céline et B. Cendrars.


C'est bien justement cette liste qui m'a poussé à acheter Ardoise, parce que pour moi aussi Salinger, Kerouac, Brautigan, Céline et Cendrars ont été et continuent d'être des chamboule-tout. Hélas l'hommage de Djian n'est pas à la hauteur de celui que je voudrais leur faire. Il se fait une grande idée du style, mais les mots qu'il emploie pour évoquer celui de ces auteurs, pour analyser l'intérêt qu'on peut trouver à lire leurs œuvres respectives, sont bien pauvres et les expressions, convenues. Par exemple le mot de "magie" asséné à répétition comme un coup de massue. Par exemple comparer le style à un cours d'eau ou à une tempête... Oui, ça sent le bon élève qui récite son "Bateau ivre"... mais ça ne dit vraiment rien de personnel, ni rien d'intéressant.

Au fil des pages, Djian expose ses goûts personnels par accumulation, par strates. Il faut que chaque nouvelle "claque" soit plus forte que la précédente : elle ne peut pas simplement être différente, et cela peut encore moins n'être pas une "claque". Ainsi les hommages se suivent et l'ardoise s'alourdit. On a l'impression qu'à chaque nouvel auteur, Djian veut s'engager tout entier, se mettre lui-même dans la balance. Et ainsi, par excès, sa compilation n'a plus aucun relief. Les digressions sont nombreuses et nous amènent à des "leçons de littérature" qui nous tombent dessus sans prévenir, lourdes et définitives. Djian ne tient pas le lecteur moyen en très haute estime. Pourtant, nous sommes quelques uns à adorer les mêmes auteurs que lui. Alors ?

Alors j'ai soupiré, non pas d'ennui mais d'indifférence, et d'avoir un peu perdu mon temps. Djian se présente en écrivain rebelle et veut rendre hommage à ses mentors. Mais ses goûts sont consensuels, ses idoles sont devenues des classiques depuis longtemps et je ne vois pas bien en quoi cela les diminue. Ardoise établit des oppositions sans fondement entre, en gros, le roman du XIXè s. qui serait ennuyeux au possible parce que écrit dans une langue morte (Balzac, Flaubert et Zola dans le même panier) et les œuvres qu'il cite qui seraient toutes à considérer comme des révolutions littéraires. Prophète en son pays, Djian semble persuadé que ses goûts personnels définissent la modernité elle-même. Sa vision de Kerouac s'est arrêtée aux clichés habituels, sa vision de Joyce se résume au monologue de Molly Bloom. Que dire ? C'est sympathique mais ça sent le formol.

Malgré tout cela Djian pourrait m'attendrir : lorsqu'il confie par exemple que depuis 20 ans, plus aucun livre ne l'a bousculé comme l'ont fait L'Attrape-cœurs, Sur la route, Mort à crédit et les autres. Quel aveu ! Mais alors pourquoi ne parle-t-il pas de lui comme lecteur, de ce qui a changé en lui pour qu'il en arrive là ? Pourquoi accuser la littérature, dénoncer les faiseurs de livre, railler les lecteurs qui n'y entendent rien ? A quoi nous avance cette aigreur ? On n'aura pas le fin mot de l'histoire. Djian réduit le chapitre des confidences à quelques diapos du passé (le jeune rebelle prenant la route sur les traces de son idole... ) et il repousse le moment d'une vraie analyse à plus tard. Il n'utilise que des mots usés pour parler de ses goûts personnels. Et croyant aller contre les modes et les médias, il semble au contraire en être le produit, tout comme nous.

Après tout, que celui qui n'aime pas bêtement Marilyn Monroe ni James Dean lui jette la première pierre.


127 pages, coll. 10/18 - 6,50 €

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