Un cœur simple
J'ai souvent trouvé très pédants ces professeurs de fac qui ponctuaient leurs cours magistraux de noms d'auteurs qu'il fallait — disaient-ils — relire. Les années passant, je comprends mieux qu'on en arrive effectivement à relire un auteur, et non simplement à le lire. C'est le cas pour moi avec Flaubert. Non pas que j'aie tout lu de lui : je n'ai jamais lu Madame Bovary ni Salammbô par exemple... mais je relis pour la énième fois l'un de ses Trois contes : "Un cœur simple".
Le prétexte de cette relecture est d'abord professionnel : je suis devenu à mon tour professeur, et j'étudie la nouvelle réaliste en Quatrième. Il me semble d'ailleurs intéressant de noter que Flaubert puis Maupassant parlent de contes lorsque les collègues et les manuels semblent adopter à l'unisson le terme de nouvelle. Pour moi, même si ce sont deux récits brefs, conte et nouvelle ça n'est pas la même chose. Le conte réaliste, à la suite du conte merveilleux, prend le plus souvent une portée générique pour ne pas dire universelle : il transmet une histoire, il raconte. Là où la nouvelle se contente, si j'ose dire, de faire le récit d'un événement. Je citerais comme exemple de nouvelle "Le Portrait ovale" d'E. A. Poe qui est le récit d'une intrigue bien particulière, d'un événement unique qui ne dit rien en général. Un exemple de conte serait "La Parure" de Maupassant qui au contraire tend à dépeindre un type de femme, une époque, un mode de vie... et comporte un enseignement — pour ainsi dire — d'intérêt général. C'est d'ailleurs une sorte de réécriture de "Cendrillon", un conte universel.
Bref. Revenons-en à Flaubert. Relisons Flaubert. Ma collègue documentaliste me confie qu'elle n'accroche pas, qu'elle préfère les descriptions d'Honoré à celles de Gustave. Flaubert est plus mordant tout de même, mais on peut aimer les deux. Il me semble que Flaubert est un cas à part au XIXè siècle, un inclassable qui parodie le Romantisme, anoblit le Réalisme, écrit des contes et des romans, des carnets de voyage, un dictionnaire des idées reçues... Un auteur obnubilé par le style, la "couleur" de ses œuvres, la syntaxe. Quelle bizarrerie, d'ailleurs, que cette phrase à propos du perroquet de Félicité : « Fabu menaçait de lui tordre le cou, bien qu'il ne fût pas cruel, malgré le tatouage de ses bras et ses gros favoris. »
On dit de Flaubert que chacune de ses phrases contient tout le livre. Je l'ai remarqué en tout cas pour les phrases qui commencent chaque chapitre dans "Un cœur simple". Premier chapitre : « Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont-l'Evêque envièrent à Mme Aubain sa servante Félicité. » Deuxième chapitre : « Elle avait eu, comme une autre, son histoire d'amour. » Etc.
Ce qui amuse ou agace aussi chez Flaubert, c'est sa manie de nous prendre toujours à rebrousse-poils. Parce qu'après avoir annoncé une histoire d'amour, en quelques lignes il raconte la mort du père de Félicité, puis celle de sa mère, la disparition de ses sœurs, l'arrivée de la jeune fille dans une ferme où elle se fait battre et boit l'eau des flaques à plat ventre sur le sol. Arrive Théodore, un rustre qui essaie de la violer le premier soir, revient à la charge le lendemain et réussit à lui fait croire que c'est ça l'amour. Quelques lignes encore et Théodore se marie avec une vieille femme pour échapper à la conscription. Fin de la vie amoureuse de Félicité.
Elle reporte toute son affection, ensuite, sur les enfants : sur son neveu qui meurt aux Amériques, sur la fille de Mme Aubain (ses enfants s'appellent Paul et Virginie, humour... ) qui meurt de sa faible constitution. Reste le perroquet, qui apparaît comme par miracle dans la vie de Félicité. Alors, son amour devient passion et une fois le perroquet mort à son tour, et Mme Aubain morte aussi, Félicité finit par voir son Loulou (il ne s'appelle pas Jacquot) empaillé sous les traits du Saint-Esprit, et vice-versa.
Elle meurt dans les senteurs des cierges, un perroquet géant planant au-dessus d'elle dans son agonie délirante et mystique.
Non, vraiment : il faut relire Flaubert.
32 pages in Trois contes, éd. Librio - 2€
Ce qui amuse ou agace aussi chez Flaubert, c'est sa manie de nous prendre toujours à rebrousse-poils. Parce qu'après avoir annoncé une histoire d'amour, en quelques lignes il raconte la mort du père de Félicité, puis celle de sa mère, la disparition de ses sœurs, l'arrivée de la jeune fille dans une ferme où elle se fait battre et boit l'eau des flaques à plat ventre sur le sol. Arrive Théodore, un rustre qui essaie de la violer le premier soir, revient à la charge le lendemain et réussit à lui fait croire que c'est ça l'amour. Quelques lignes encore et Théodore se marie avec une vieille femme pour échapper à la conscription. Fin de la vie amoureuse de Félicité.
Elle reporte toute son affection, ensuite, sur les enfants : sur son neveu qui meurt aux Amériques, sur la fille de Mme Aubain (ses enfants s'appellent Paul et Virginie, humour... ) qui meurt de sa faible constitution. Reste le perroquet, qui apparaît comme par miracle dans la vie de Félicité. Alors, son amour devient passion et une fois le perroquet mort à son tour, et Mme Aubain morte aussi, Félicité finit par voir son Loulou (il ne s'appelle pas Jacquot) empaillé sous les traits du Saint-Esprit, et vice-versa.
Elle meurt dans les senteurs des cierges, un perroquet géant planant au-dessus d'elle dans son agonie délirante et mystique.
Non, vraiment : il faut relire Flaubert.
32 pages in Trois contes, éd. Librio - 2€
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